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chefs d’état, avait évidemment parlé à l’âme de l’empereur au 19 janvier 1867. Le parti rétrograde lui a reproché d’avoir devancé en cette occasion les vœux de l’opinion publique : que savent les gens de ce parti des aspirations de l’opinion publique, puisqu’alors elles ne pouvaient s’exprimer avec liberté ? L’empereur a aperçu le jeu réciproque des nécessités intérieures et des nécessités extérieures de la France. Il a senti à la fin de la crise allemande que le salut du pays exigeait que l’on mît les armes aux mains de la nation, et il a senti en même temps que c’est seulement à une nation libre qu’on peut demander les sacrifices héroïques accomplis avec confiance et la certitude du succès. Pour nous, nous avons toujours eu depuis Sadowa la conviction que les efforts demandés à la France pour conserver son juste ascendant dans une Europe en révolution devaient avoir pour récompense infaillible et prochaine la liberté politique. Qui est maître d’ailleurs de l’avenir ? Et s’il était exact, suivant une théorie fataliste que repoussé toute notre conscience, que la dictature eût ses momens nécessaires dans l’histoire des peuples, quel est l’homme sensé qui, voulant être fondateur d’empire, s’exposerait avec insouciance à laisser son héritage à l’état de possession précaire sans l’appui des institutions qui sont indépendantes des qualités personnelles, et qui contiennent en elles-mêmes les conditions de leur vie et de leur durée ?

Nous nous félicitons sincèrement de la bonne chance qui a permis à M. Rouher de ne point quitter le pouvoir en chef du parti réactionnaire, et qui lui a donné le mérite de réunir au vote de l’article essentiel de la loi, le premier, l’opposition et la majorité. Depuis lors, le ministre d’état a défendu les mauvais détails de la loi avec une ténacité et des habiletés de jurisconsulte dignes d’une cause meilleure. Cependant il faut reconnaître que M. Rouher a toujours réservé l’avenir, qu’il a prononcé sur la responsabilité ministérielle des paroles qui ressemblaient à des avances et qui donnent à penser, — qu’il s’est déclaré explicitement résolu à marcher en avant, tout en se tenant sur la défensive. Au fond, pour les connaisseurs, M. Rouher a le tempérament d’un radical. Il faut qu’il reste des nôtres. Le temps le mènera. Son système paraît être en ce moment de laisser glisser insensiblement la constitution dans les formes d’un régime libéral et parlementaire. Comme M. Rouher est loin d’être un esprit morose, comme il apporte dans la politique la bonne humeur et le caractère facile, les moyens de conciliation ne sont point impossibles avec lui. S’il eût vécu en Angleterre au XVIIIe siècle, il eût été un de ces politiques ouverts, mais calculateurs des circonstances, qu’on appelait des trimmers, et dont lord Macaulay nous a décrit le type dans son délicieux portrait de lord Halifax. Mais voici où est la difficulté du moment : quelle est la meilleure conduite que conseillent les circonstances actuelles sérieusement étudiées ? Peut-on avec sécurité se laisser glisser sur