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une pente sinueuse et douce, ou bien les nécessités du temps ne commandent-elles point d’aller d’un pas résolu au but, qui est le rétablissement le plus prompt possible de la logique et de l’harmonie dans les institutions françaises ? Si l’aspect des choses faisait incliner au second système l’initiative du pouvoir, de nouveaux principes devraient être introduits dans la constitution au moyen d’une déclaration des droits proposée au suffrage universel par un plébiscite. Quant à nous, nous ne comprendrions point qu’on hésitât entre les deux systèmes. Avec celui des lenteurs et des temporisations, on s’expose à des surprises, on laisse s’énerver et s’aigrir le moral du pays, on se prive de la bonne grâce des concessions par la lenteur avec laquelle on les débite à petite dose. On a parlé récemment de plébiscite ; qu’on n’en parle pas trop longtemps d’avance, qu’on agisse vite le jour où l’on sera décidé. Ce serait un grand honneur pour M. Rouher de seconder l’initiative impériale dans l’accomplissement d’une œuvre qui sauverait la France de toute crainte de réaction morne et obscurantiste, et lui donnerait du jour, de l’air, de l’avenir.

Il y a dans les événemens qui se passent chez les autres peuples des caractères qui encouragent les conseils que nous prenons la liberté de donner au gouvernement de notre pays. Est-il séant que le faux esprit conservateur en France devienne plus bouché, plus étroit, plus acariâtre, au moment même où en Angleterre, sous l’aimable influence de M. Disraeli, la cause conservatrice s’est rajeunie avec tant d’intelligence, ne gardant du passé que ces formes devenues inoffensives, qui, embellies par la patine du temps, ornent de reflets poétiques les institutions toujours perfectionnées d’une nation qui a eu une longue et grande histoire. Notre illustre ami M. Disraeli est aujourd’hui premier ministre de la reine d’Angleterre. Dans notre vie politique moderne, la sereine et honnête ambition du patriote et de l’homme d’état n’a point de plus haut couronnement que la premiership du cabinet de sa majesté britannique. Il n’y a pas de souverain ni de président de république qui ait une situation plus belle et plus enviable que celle du premier. Qu’on songe à ce qui a été fait de grandes choses par des hommes d’état savans dans l’art de faire vivre les institutions par la liberté et la persuasion, et animés de la passion du bien public pour obtenir cette primauté : les impétuosités et les orages de lord Chatham, la superbe émulation de William Pitt et de Charles Fox ; puis, dans les temps voisins des nôtres, Canning, fier, hardi, succombant avec une grandeur mélancolique aux attaques des tories ; puis Peel, prenant par la continuité de ses services, sa sagacité financière, sa parole simple et nette, la conduite d’une classe aristocratique encore hautaine et récalcitrante, parvenant à composer un parti immense et sacrifiant avec un désespoir héroïque à la cause de la vérité économique et de l’humanité l’unité de ce parti