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On voit comment Buckle s’efforce d’établir directement le théorème de l’existence des lois dans l’histoire. Il n’a pu éviter une filière de raisonnemens et d’observations beaucoup plus complexes pour résoudre le problème de la méthode à suivre dans la recherche de ces lois. Avouons-le sur-le-champ, il quitte à peu près la méthode inductive du moment qu’il entreprend de coordonner la variété discordante des faits historiques. Ce n’est pas qu’il renonce à l’observation des faits : nous avons rarement trouvé un philosophe ou un historien qui en soit plus préoccupé ; mais il pose d’abord une vérité générale qui est à tout le moins plausible, et il la prouve par les faits, pour passer ensuite à une autre. En voici un exemple. Plus la nourriture est facile et abondante en un pays, plus la population est nombreuse ; plus la population est nombreuse, toutes choses égales d’ailleurs, plus les salaires diminuent. Si maintenant le travail en ce pays produit au-delà des besoins et qu’il y ait progrès dans la richesse, les salaires diminuant et la richesse augmentant, toute la fortune, toute la puissance, vont s’accumuler entre les mains d’un petit nombre. L’histoire de l’Inde, de l’Égypte et de l’Amérique ancienne témoigne à chaque pas de la justesse de ces propositions : partout un aliment facile, abondant et tel que l’exigeait le climat, le riz, la datte, le maïs, la banane, partout une population que la misère, les maladies, les fléaux, ne peuvent épuiser, partout le travail de l’homme à vil prix, partout une énorme disproportion entre le pauvre et le riche, partout des castes séparées entre elles par d’implacables lois. Les disciples d’Adam Smith connaissent ces échelles géométriques de proportions, le long desquelles on bâtit tout un édifice de faits qui se tient ensuite debout par lui-même. C’est la méthode de l’économie politique. Est-il possible de procéder autrement dans un monde d’événemens et de détails ? Suivons donc Buckle dans la série principale de ses raisonnemens ; le point de départ, c’est que les actions des hommes, quelque libres et même capricieuses qu’elles puissent paraître, sont produites par des lois nécessaires qui les poussent en un certain sens. où elles tendent spontanément, aveuglément. Deviner quel est ce sens, en apparence mystérieux, connaître cette tendance irrésistible, tel sera le point d’arrivée.


II

Toutes les lois qui règlent la marche des sociétés sont des lois physiques, s’exerçant de la nature sur l’homme, ou mentales, s’exerçant de l’homme sur la nature. Les lois physiques sont au nombre de quatre principales : le climat, la nourriture, le sol et l’aspect de la nature. Il est remarquable que la race est exclue du nombre de