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perdue. Cependant le Nicaragua s’est relevé de cette terrible crise : la population totale, qui en 1846 était d’environ 264,000 habitans, s’est accrue de plus de 80,000 âmes dans l’espace des vingt dernières années ; l’excédant annuel des naissances sur les décès n’est pas moindre de 125 pour 100, et par suite le nombre des citoyens se double à chaque génération. Les villes incendiées se sont relevées de leurs ruines, de nouveaux groupes de population se sont formés des colonies, où l’on admet libéralement jusqu’à d’anciens soldats de Walker, se fondent sur les bords des grandes rivières qui débouchent dans l’Atlantique ; on ouvre des mines, on défriche des terres pour les plantations de coton et de café ; l’industrie locale s’enrichit d’instrumens et même de machines à vapeur, le bien-être s’accroît rapidement ; les finances nationales, débarrassées de toute dette extérieure, sont dans un état prospère. Il est vrai que le budget du pouvoir exécutif tout entier ne dépasse pas 60,000 francs ; dans les premiers mois de gêne qui suivirent l’invasion de Walker, le général Martinez devait se contenter pour tout fauteuil présidentiel d’un simple cadre de bois revêtu d’une peau de bœuf, et renvoyait son cheval à la campagne parce qu’il n’était pas assez riche pour le nourrir. C’est ce même président, le héros de la guerre d’indépendance contre les flibustiers, qui répondait à des conseils d’usurpation par un manifeste où se trouvent les paroles suivantes : « Je ne suis pas l’homme des coups d’état. Je ne recherche pas les aventures pour me couvrir d’une gloire éphémère aux dépens de mes semblables. Bien moins encore je suis un homme de sang, et il faudrait en répandre beaucoup pour imposer par la violence une nouvelle forme de gouvernement. Je ne crois pas que, pour avoir rendu quelques services à ma patrie dans des temps difficiles, j’aie acquis le droit d’en faire mon patrimoine personnel. Je crois au contraire que mon devoir est de donner l’exemple d’un saint respect pour ses lois. »

Certes il est bien naturel que le président Martinez ait été fidèle à sa parole et n’ait pas voulu se faire le meurtrier de son pays : on éprouve même une sorte de pudeur à relever cet acte de la plus simple probité ; mais il est bon de signaler un fait politique des plus touchans, et peut-être unique dans l’histoire moderne, qui s’est passé récemment au Costa-Rica, et qui prouve combien est fort dans ce pays l’amour du bien public. C’était au commencement de l’année 1863. Le président Montealegre allait rentrer dans la vie privée, et deux candidats, d’ailleurs fort honorables, demandaient à le remplacer. Les passions politiques et les rivalités personnelles, violemment excitées, menaçaient de dégénérer en lutte ouverte. Montealegre ne voulut pas descendre du siège présidentiel sans