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avoir rendu un dernier service au pays. Il convoqua les deux rivaux, leur exposa les dangers de la situation, et les adjura de se désister de leurs candidatures en faveur d’un vieillard aimé de tous, M. Jésus Jimenes. Ils renoncèrent sans hésiter à leurs prétentions respectives. Quelques jours après, dans une conférence solennelle. les hommes principaux de la république, oubliant leurs inimitiés, prenaient l’engagement d’unir leurs voix sur le nom respecté de Jimenes, et au jour de l’élection le vote fut presque unanime. Le peuple se rendit au scrutin comme à une véritable fête de famille.

Du reste, cette petite république du Costa-Rica est bien certainement l’un des coins les plus fortunés de la terre. Sans même s’élever jusqu’à la haute cime de l’un des volcans qui dominent au nord les campagnes cultivées de San-José, de Heredia, de Cartago, on peut apercevoir à la fois presque tout le territoire peuplé de l’état, et par-delà les cultures bien des régions désertes et même inexplorées. Les 160,000 habitans du Costa-Rîca se sont groupés sur une superficie d’au plus l,200 kilomètres carrés, à peine la surface d’un arrondissement français, et de très faibles essaims de population se sont dispersés au nord, sur la route du Nicaragua. C’est là bien peu de chose en comparaison des vastes et populeux royaumes de la vieille Europe ; mais si les Costa-Ricains sont le plus petit peuple civilisé, ils sont aussi a incontestablement, pense M. Belly, le peuple le plus sage, le plus honnête et le plus heureux. » Sans doute le régime colonial a laissé bien des traces dans le pays, et la constitution nationale est loin d’être complètement d’accord avec l’idéal moderne ; les prêtres catholiques sont encore des fonctionnaires salariés par l’état, et les conditions de cens qu’il faut remplir pour être électeur au second degré, représentant, sénateur, secrétaire d’état, vice-président ou président de la république, ont pour résultat de maintenir une sorte d’aristocratie. Toutefois ces défauts de la constitution ne peuvent manquer de disparaître avec le temps, et même ont déjà partiellement disparu, puisqu’une instruction supérieure ou le professorat tient lieu de cens aux électeurs et aux membres du congrès. Il n’est peut-être pas de pays au monde où les mœurs soient en un si court espace de temps devenues plus républicaines qu’elles ne le sont au Costa-Rica ; « les idées de dictature, d’arbitraire légal, de gouvernement personnel, de prestige de pouvoir, d’inviolabilité administrative, n’y sont que des idées de l’autre monde ; la violation du secret des lettres, sous quelque prétexte que ce soit, y serait assimilée au vol par effraction et punie des travaux forcés ; le pays participe incessamment à ses propres affaires et contrôle rigoureusement ses finances ; ses droits sont toujours respectés, et sa volonté toujours obéie. »