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roi et son chancelier. Au surplus, les élections, retardées dans les états du sud, amènent l’ajournement du parlement douanier et le reichstag prussien va se réunir. Les débats parlementaires obligeront bien M. de Bismarck à rompre le silence. Il y a deux affaires prussiennes récentes assez curieuses et que les spectateurs français n’ont à observer qu’à un point de vue esthétique : nous voulons parler du dernier conflit hanovrien et de l’idée d’établir une nonciature en Prusse. On voit dans le conflit hanovrien un remarquable effet de la marche du temps. Comme roi et roi mystique, tel qu’il s’est présenté à l’Europe en prenant la couronne, Guillaume 1er élevait la souveraineté à la hauteur d’un principe religieux ; comme roi conquérant, après Sadowa il a détrôné des souverains. C’est la première fois dans l’histoire moderne qu’un roi de droit divin en ait renversé un autre. Les rois se sont combattus sans cesse en Europe depuis le XVIe siècle, ils se sont mutuellement enlevé des provinces ; mais les conquérans et les vainqueurs n’ont jamais arraché une couronne. L’idée n’en vint pas à Charles-Quint après Pavie. On a vu des peuples, et tout récemment ceux d’Italie, chasser leurs familles princières et se donner à une autre dynastie. Ce n’est point le cas de la Prusse : les populations hanovriennes et hessoises ne se sont point données au roi Guillaume ; elles ont été incorporées par lui à la Prusse au seul nom du droit de guerre et de conquête, et leurs familles souveraines séculaires ont été dépossédées. Voilà, au point de vue du droit légitimiste, un acte bien révolutionnaire. Nous qui ne sommes point légitimistes, ces coups portés par un roi de droit divin à son principe d’autorité n’ont pas de quoi nous affliger. Une autre contradiction bizarre, c’est le projet de l’établissement d’une nonciature à Berlin. La couronne qui est à la tête du protestantisme germanique ferait donc pacte avec la papauté et les principes absolus du Syllabus. Quelle déception pour les libres penseurs français qui se sont montrés si partiaux en faveur de la cause prussienne ! Il ne faut pas désespérer de voir le parti de la Gazette de la Croix s’allier un jour au parti ultramontain !

Le parlement anglais, le cabinet constitué, a repris ses séances. M. Disraeli, accueilli avec une grande sympathie par l’unanimité de la chambre, a exposé brièvement le programme de sa politique. Aucun changement de principes ne peut séparer le ministère actuel du précédent, puisque, sauf la retraite de lord Derby, il est composé des mêmes personnes. M. Disraeli a saisi avec son habileté d’artiste la physionomie de lord Derby dans le portrait qu’il en a tracé. Le passage de son discours le plus remarqué a été celui où il a parlé de la politique étrangère de l’Angleterre. M. Disraeli dit avec raison que l’Europe aura une confiance entière dans la politique dirigée par son ami lord Stanley. C’est une politique de paix, non pas de paix à tout prix au point de vue des intérêts de l’Angleterre, mais de paix fondée sur la conviction qu’elle répond à l’intérêt général du monde. Une telle politique ne doit point trouver sa