Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/607

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dispersées de la maison d’Israël, comme le vieil historien appelle ses coreligionnaires. Il arrivait ainsi sans bruit au terme du voyage, parmi le troupeau qui ne tenait pas plus que lui à mettre l’ennemi en éveil. On remarquait bien dans la colonie quelque chose d’insolite : on n’allait pas aux processions, on ne mettait pas des madones au coin des rues, on fuyait les solennités pompeuses du culte catholique, dont les populations méridionales sont si avides. « La gent cléricale, dit Perrin, autre historien vaudois[1], s’était plainte de ce que ces ultramontains ne vivaient pas en religion comme les autres peuples ; mais les seigneurs retenaient les curés en leur disant que ces cultivateurs étaient venus de terres lointaines, inconnues, où d’aventure les gens n’étaient point tant adonnés aux cérémonies de l’église, mais qu’au principal ils. étaient pleins de prud’homie, charitables envers les pauvres, et remplis de la crainte de Dieu ; qu’ainsi il ne fallait pas qu’on les inquiétât en leur conscience pour quelques processions, images ou luminaires qu’ils avaient de moins que les autres gens du pays. »

L’intérêt féodal avait amené le courant vaudois, il protégea longtemps les laborieuses populations qu’il avait versées sur le midi de l’Italie et sur la Provence. Le moment vint cependant où cette protection fut impuissante. Nous verrons plus tard la réforme faire sortir la secte antique de la prudence où elle s’était enveloppée jusqu’alors. Elle se réveilla au premier retentissement de la parole de Luther et de Calvin, voulut avoir ses temples, ses écoles et ses ministres, et cette prétention naturelle, légitime, amena la ruine lamentable de ces essaims de colons échappés des Alpes. La ruche natale fut aussi protégée longtemps par ces mêmes intérêts ; mais l’esprit sectaire, se trouvant mieux retranché dans les défilés des Alpes, s’y montra moins circonspect et attira sur les vallées vaudoises les regards et les persécutions. Trois fois elles sont cernées dans le cours du XIVe siècle, trois fois l’inquisition s’avance des deux côtés pour en faire le siège. En 1332, le pape Jean XXII ordonne à l’inquisiteur de Marseille de combiner ses efforts avec ceux de l’inquisiteur du Piémont pour vider le repaire. Le motif de cette attaque, dont nous ne pouvons suivre les détails, était la mort d’un moine tué au fond de la vallée du Pellice, sur le versant italien, où il s’était aventuré pour convertir les vaudois. Si le motif est vrai, on peut conclure que ceux-ci avaient abandonné l’ancien principe de l’inviolabilité absolue de la vie humaine professé par la plupart des sectes du moyen âge. Vingt ans plus tard, Clément VI essaie inutilement de former une ligue entre le dauphin du Viennois et la reine. Jeanne de Naples, souveraine de la partie maritime des Alpes.

  1. Histoire des Vaudois et des Albigeois, Genève 1618.