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candidat ? Ces deux procédés, quoique soutenus à diverses reprises dans le parlement d’Angleterre par des hommes aussi considérables que lord Russell et lord Grey, ont toujours déplu à la fois et aux conservateurs des traditions anciennes, ennemis naturels de toutes les innovations hasardeuses, et aux théoriciens, qui leur reprochent de n’assurer à la minorité qu’une représentation arbitraire et inexacte. A plus forte raison ne peuvent-ils pas convenir aux exigences doctrinaires de notre démocratie française. Il n’y a que le système de M. Hare qui puisse avoir la prétention de satisfaire dans tous ses scrupules le rigoureux esprit de justice des théoriciens du droit de suffrage. Reste à savoir si ce bel échafaudage peut résister au choc de l’expérience, et si le principe sur lequel il s’appuie ne doit pas lui-même être attaqué.

L’idée fondamentale de la théorie de M. Hare consiste à substituer au principe de la représentation locale celui de la représentation personnelle, qui est à son avis le seul véritable, le seul compatible avec l’unité des nations modernes, avec l’intégrité des droits de la personne humaine et avec le progrès de la civilisation. Il propose donc d’abolir toutes les circonscriptions électorales et de faire nommer les députés en masse par le pays tout entier, de manière à détruire la force des majorités locales et à obtenir une représentation sincère de la majorité du pays. Mais comment organiser ces vastes élections nationales ? Comment les préserver du désordre et de la confusion qui ne manqueront pas de s’y produire, si l’on ne découvre pas un moyen de les soumettre à des règles simples et précises ? M. Hare croit en avoir trouvé le secret : il suffirait, pense-t-il, de fixer d’avance le nombre de voix nécessaire pour faire une élection en divisant le nombre des votans par celui des sièges à remplir. Pour éviter les dangers du scrutin de liste et l’oppression des minorités, bien plus redoutable encore dans une élection pareille à raison de son unité même, on ne permettrait pas à chaque électeur de nommer plus d’un candidat. Pour empêcher que les suffrages ne se réunissent inutilement sur les mêmes têtes, il faudrait que chaque électeur mît sur son bulletin de vote une liste de plusieurs candidats inscrits par rang de préférence, de manière à fournir des députés de rechange dans le cas où les premiers inscrits auraient déjà obtenu le nombre de voix nécessaire pour être élus. Tel est en résumé ce système minutieux, compliqué et un peu obscur, que nous ne voulons pas examiner en détail.

L’idée même qui le domine ne nous paraît pas parfaitement vraie. Il ne nous semble pas qu’il soit désirable de retirer aux élections ce caractère local contre lequel M. Hare dirige tous ses efforts. Les théoriciens ont beau dire que dans les élections générales les