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vous apprendrai l’écossaise et la valse cosaque. Tra la la, tra la la… Et Emilie se mit à sauter par la chambre. — Voyez quelles jolies bottines je porte. Elles viennent de Varsovie… Mais comment m’appellerez-vous ?

Le lieutenant rougit jusqu’aux oreilles : — Je vous appellerai l’adorable Emilie.

— Vous devez m’appeler mein Zucker Püppchen[1]. Voyons, répétez après moi.

— Avec le plus grand plaisir ; mais je crains que ce ne soit un peu trop difficile pour ma langue…

— C’est égal, c’est égal ; dites : mein

Mahin

Zucker

Tsouker

Püppchen, püppchen, püppchen.

Pu…. Non, je ne puis, ça ne peut pas sortir.

— Si, si, il le faut. Savez-vous ce que cela signifie ? C’est en allemand le mot le plus agréable aux demoiselles. Je vous l’expliquerai plus tard, car voici la petite tante qui nous rapporte le samovar. — Emilie battit des mains. — Petite tante, je prendrai mon thé avec de la crème. Y en a-t-il ?

— Tais-toi donc, dit la tante en allemand d’un ton bourru.

Le lieutenant resta chez Mme Fritsche jusqu’à la nuit. Depuis son arrivée à Nicolaïef, il n’avait pas encore passé de si agréable soirée. A la vérité, il lui vint plus d’une fois à la tête qu’il ne convenait guère à un officier, à un gentilhomme, de frayer avec des personnes comme la demoiselle de Riga et sa petite tante ; mais Emilie était si jolie, elle babillait si drôlement, elle le regardait avec des yeux si espiègles, qu’il refoula tous ses scrupules pour vivre cette fois à coudées franches, comme le lui conseillait un pope de ses amis. Une seule circonstance le troubla quelque peu et lui laissa une impression pénible. Pendant le feu de sa conversation avec Emilie et la tante, la porte de la chambre s’entre-bâilla et donna passage à un bras d’homme dont la manche, de couleur sombre, portait trois petits boutons d’argent, et qui déposa sur une chaise un assez gros paquet enveloppé dans une serviette. Les deux dames s’en approchèrent avec empressement pour regarder ce qu’il contenait. — Ce ne sont pas les mêmes cuillères, s’écria Emilie ; mais la tante la poussa du coude et se hâta d’emporter le paquet, sans même attacher les bouts de la serviette, sur l’un desquels le lieutenant crut apercevoir une tache rouge semblable à une tache de

  1. Ma petite poupée de sucre.