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un peuple de bergers et de marchands de laine est-il devenu un des plus habiles de la terre dans toutes les branches du travail manuel ? C’est une question qui méritait à coup sûr d’occuper les recherches d’un esprit dévoué aux intérêts de l’économie politique, de l’éducation morale et du progrès religieux.

Avec un rare désintéressement national et un sentiment de justice qu’on ne saurait trop encourager, un écrivain anglais vient aujourd’hui rendre aux étrangers ce que la riche et laborieuse Angleterre du XIXe siècle doit aux étrangers. M. Smiles est l’historien de la vapeur et de toutes les découvertes utiles ; ses héros sont les inventeurs, les artisans célèbres, les ingénieurs, tous ceux, en un mot, qui ont su dérober à la nature un secret ou une force pour étendre le règne de l’homme sur la matière. Les conquêtes de l’industrie et du commerce le préoccupent bien autrement que les victoires des armées anglaises. Il admire peut-être le courage des soldats mourant à Waterloo, mais combien il s’intéresse d’un autre côté aux conscrits du travail luttant dans le silence des mines contre les ténèbres, les masses de diamant noir et les explosions du feu grisou ! Mieux que tout autre en Angleterre, il connaît l’âge de chaque métier, les états embryonnaires qu’ont traversés les machines, le nom des hommes ayant attaché le souvenir de leurs services au perfectionnement du vaste outillage des diverses exploitations. Il a écrit la biographie de ceux qui ont extrait et dompté le fer, de ceux aussi qui, à l’aide d’un nouveau moteur, ont soulevé les montagnes de houille et rapproché les distances[1]. Par la tournure de ses idées et l’ordre de ses études, M. Smiles était donc préparé à traiter cet intéressant sujet,. — la naissance des arts utiles chez un grand peuple qui, à l’origine, n’avait pas d’industrie.

Ce qui manquait d’abord à l’Angleterre, elle se l’est donné en attirant chez elle les ressources et les talens des autres nations. Chaque branche du travail manuel a été entée l’une après l’autre sur un tronc vivace, mais primitivement inculte, par des immigrations successives. Les facultés de premier ordre que développent aujourd’hui dans plus d’un métier les artisans anglais ont été par le fait acquises ou, pour mieux dire, empruntées à des étrangers. Les premières colonies ouvrières qui vinrent s’établir sur le sol britannique avaient été poussées au-delà du détroit par des événemens dans lesquels le hasard ou la politique des souverains

  1. Les ouvrages de M. Samuel Smiles, qui tons ont obtenu un grand succès en Angleterre, sont Lives of Engineers, Industrial Biography, Self-Help, Story of the life of George Stephenson, Lifes of Boulton and Watt. En littérature, il a créé un genre qui répond bien à l’esprit curieux et pratique de nos voisins, enthousiastes surtout des gloires du travail.