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Michel Mouraviev et un rescrit impérial, sorte de manifeste ou de programme politique adressé par le tsar au président du conseil des ministres, le prince Gagarin.

La Russie en était encore à voir dans le vieux proconsul de Wilna le sauveur attitré de l’empire. Puisqu’on nommait une commission d’enquête pour rechercher tout ce qui se rattachait au crime du 16 avril, il ne pouvait y avoir pour la diriger que celui qui avait étouffé d’une main aussi habile qu’implacable l’insurrection en Lithuanie. Le choix était en quelque sorte imposé par l’opinion au gouvernement, qui avait songé à désigner le général Lanskoy, et Michel Mouraviev lui-même n’était pas éloigné de croire à sa propre infaillibilité. Dans un banquet qu’on lui donnait au club de la noblesse, il disait avec une confiance un peu superbe : « Je suis heureux que l’empereur m’ait mis à la tête de cette institution qui doit servir à dévoiler le noir complot et les coupables. Je mourrai plutôt que de ne pas découvrir le secret de cette machination qui est l’œuvre non d’un seul homme, mais de nombreux complices agissant ensemble, et j’espère que vous m’aiderez dans cette tâche… » Mouraviev conviait la noblesse à entrer en volontaire dans la police ! Par le fait, il se trouvait de nouveau investi d’une véritable dictature, et il agissait en dictateur. Toutes les autorités avaient l’ordre de lui obéir sur l’heure, et, s’il n’est pas arrivé à un grand résultat, il réussissait du moins pendant quelques mois à inspirer une certaine terreur. Sous son impulsion, les gouverneurs des provinces se mettaient en campagne, emprisonnaient sans scrupule et faisaient la guerre au costume des dames nihilistes, qu’ils représentaient comme un signe de sédition « dans l’opinion de tous les hommes bien pensans » et des « observateurs de l’ordre social. » Le petit chapeau rond, les cheveux courts et les lunettes bleues n’avaient plus le droit de se montrer dans les rues de Moscou, et, parmi les malheureuses qui ne se conformaient pas assez vite aux prescriptions de la police, il en est qui ont subi un long emprisonnement. C’était beaucoup pour une excentricité de toilette.

Quant au rescrit impérial, était-ce, comme on le disait, l’œuvre du prince Gagarin ou du comte Panin ? Il portait dans tous les cas la marque d’un esprit imbu de fortes préoccupations conservatrices et obsédé de ce fantôme du nihilisme qui venait d’apparaître sous la forme du régicide. — La Providence, selon l’auteur, n’avait permis l’attentat du 16 avril que pour montrer le danger de ces doctrines qui s’attaquent audacieusement à la foi religieuse, à la famille et à la propriété. L’auteur du reste avouait naïvement le mal. « Je n’ignore pas, disait-il, que quelques fonctionnaires russes ne sont pas restés étrangers à la propagation de ces principes