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subversifs dont le développement doit être interdit. » Le rescrit impérial avait évidemment la prétention d’être un programme de gouvernement et de tracer à tous une règle de conduite ; mais celui qui rappelait à ses peuples et à ses employés les lois souveraines de l’ordre social ne paraissait pas même soupçonner qu’un rescrit n’est qu’une feuille volante, que, pour faire respecter la propriété, la famille et la religion en Russie. le mieux serait encore de ne pas les outrager et les abolir en Pologne.

En réalité, l’esprit de l’empereur Alexandre II était très perplexe. Il adressait au prince Gagarin un rescrit plein de velléités conservatrices, et en même temps il ne songeait point évidemment à désavouer le système de destruction sociale dont l’application se poursuivait en son nom dans les provinces polonaises. Il voulait faire reculer le nihilisme, et au même instant il paraissait se rattacher plus que jamais à ceux de ses conseillers qui représentaient auprès de lui un radicalisme déguisé, discipliné, façonné au joug. Tous les changemens accomplis au lendemain du 16 avril et pendant quelques mois se ressentaient de cette contradiction perpétuelle. Ainsi, au premier instant, le chef des gendarmes, le directeur de la troisième section de la chancellerie impériale chargée de la police secrète, le prince Dolgoroukof, dépité, humilié de n’avoir rien prévu, rien su, rien empêché, voulut absolument se punir lui-même en donnant sa démission, et l’empereur choisit pour son successeur le comte Schouvalof, homme éclairé, modéré, qui avait laissé les meilleurs souvenirs dans les provinces baltiques, dont il avait été gouverneur, qui n’était nullement du parti ultra-russe ; mais d’un autre côté, peu après, il appelait définitivement au poste de secrétaire d’état pour les affaires de Pologne M. Nicolas Milutine. le vrai chef de ce démocratisme autoritaire régnant depuis quelque temps en Russie, celui qui a résumé son système dans cette image caractéristique : la steppe et une tour élevée au milieu !

Une des disgrâces les plus éclatantes et les plus significatives en ce moment était celle du ministre de l’instruction publique, M. Golovnine. C’était en vérité un triomphe pour M. Katkof, qui poursuivait depuis longtemps le ministre d’une hostilité implacable, qui ne cessait à cette heure même de l’accuser d’avoir propagé le nihilisme par ses choix de professeurs, par son système d’administration. M. Golovnine disparaissait comme allait disparaître le prince Souvarov, l’adversaire de Mouraviev. L’empereur fit appeler son ministre et lui dit qu’il l’aimait toujours, qu’il n’avait rien contre lui, mais que l’opinion publique s’inquiétait, qu’il fallait, dans les circonstances où l’on se trouvait, un homme nouveau, d’énergie et de caractère. Cet homme était le comte Dimitri Tolstoy, qui avait été désigné au choix de l’empereur.