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justice et de les châtier de ses propres mains. Elle étouffe les voix calomnieuses ou séditieuses dans le bruit de ses discussions pacifiques et régulières. En les dédaignant, elle les rend impuissantes, et elle habitue le peuple à son tour à les entendre sans s’émouvoir. Assurément nous ne voulons pas dire que la liberté ne puisse donner lieu, comme toute chose, à des excès et à des abus regrettables ; mais pour que les bonnes influences soient toujours certaines de triompher, pour qu’elles n’emploient jamais que des moyens légitimes, pour que leur empire ne soit pas le résultat d’un accident ou d’un caprice, pour que jamais on ne les soupçonne d’escamoter le vœu populaire et de ne maintenir leur autorité que par la force, il faut que les mauvaises soient au moins aussi libres que les bonnes. C’est à cette condition seulement que le suffrage universel déjouera les espérances qu’il inspire à ses adversaires, et fera mentir les craintes que ses amis eux-mêmes ont encore trop de raisons de concevoir pour son avenir.

La démocratie porte en elle-même son remède, pourvu qu’on lui donne là liberté, non pas cette liberté timide et avare, accordée de mauvaise grâce, appliquée avec terreur, défendue pièce à pièce et abandonnée lambeau par lambeau avec la défiance et le chagrin d’un regret à peine déguisé, hérissée d’ailleurs de restrictions et de menaces qui en feraient un piège plutôt qu’une arme pour ceux qui essaieraient de s’en servir, — non pas cette liberté d’exception et de circonstance dont l’exercice intermittent ne reparaît qu’à de longs intervalles, — non pas enfin cette liberté qui pourrait se comprendre sous un régime d’aristocratie ou de privilège, et qui est un non-sens au sein de la démocratie moderne, — mais la liberté vraie, la liberté pleine, égale pour tous, mise à la portée et sous la main de tous, fondée, si ce n’est avec le nom, du moins avec l’esprit du droit commun, la liberté que la loi s’efforce de rendre facile, au lieu de semer son chemin d’embarras et d’obstacles et de lui imposer, en l’émancipant, le harnais de la servitude, en un mot la seule liberté qui convienne à un pays de suffrage universel. C’est un lieu commun très répandu et très accrédité parmi nos têtes sages que la liberté doit décroître en raison même des progrès de la démocratie, qu’il faut lui mettre plus d’entraves à mesure qu’elle devient plus forte, et, pour nous servir des paroles mêmes de l’homme d’état qui représente le mieux ces timidités conservatrices, « qu’il faut à ce courant démocratique si large un plus fort contre-poids que par le passé. » Ne nous arrêtons point à examiner si l’on a le droit d’invoquer de tels prétextes contre les libertés qu’on veut proscrire, quand on a contribué plus que personne à ouvrir un lit plus vaste au torrent dont on veut contenir les ravages. Attachons-nous à