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descende jusqu’à nos entrailles, que la nation tout entière y soit baignée, qu’elle s’y retrempe et s’y rajeunisse, que chacun soit libre de parler et d’écrire, de rassembler ses concitoyens, de s’unir à eux publiquement, de former avec eux des associations permanentes, de publier son opinion de toute façon et à toute heure, sans avoir besoin d’implorer la tolérance d’une administration omnipotente ou de tricher avec les lois de son-pays. Il faut que la démocratie bannisse de chez elle ces formalités compliquées, ce cérémonial gênant et minutieux qu’on impose encore à la liberté, qu’elle la délivre de ces pénalités extraordinaires qui la terrifient et de ces charges exceptionnelles qui ne sont que des entraves déguisées. Est-il raisonnable ou seulement possible que, sous un régime qui met le peuple entier sur le trône et qui fait de chaque homme un souverain, le simple usage des libertés publiques soit une chose si dangereuse et si difficile que, pour essayer seulement de les exercer, il faille avoir beaucoup de courage, beaucoup de loisir et beaucoup d’argent ? Non, il ne peut pas se faire que la profession d’homme politique soit traitée dans une démocratie tantôt comme un monopole d’argent, tantôt comme une industrie insalubre ou honteuse. L’existence de la démocratie n’est possible qu’à la condition qu’elle nous donne non pas seulement, comme cela est trop aisé à dire, la liberté de droit commun, mais la liberté facile, usuelle et à bon marché.

À ceux qui contesteraient encore ces vérités si évidentes, et qui persisteraient à vouloir la démocratie sans la liberté, il n’y aurait vraiment plus rien à répondre, si ce n’est qu’ils veulent des choses contradictoires, et que les gouvernemens qui s’obstineraient dans cette erreur fatale ne tarderaient pas à en payer la peine. Ils ne trouveraient pas plus d’appui dans le suffrage universel au jour du danger qu’ils n’y auraient trouvé de résistance au jour de leur puissance et de leur prospérité. Cette foule si peu habituée à leur demander compte de leurs actes les verrait s’écrouler avec la même résignation ou la. même insouciance, et elle prêterait à leurs ennemis le même genre d’obéissance machinale, si encore elle ne se livrait, par je ne sais quel vague instinct de représailles, à un stupide emportement contre son idole abattue. La persévérance et la sagesse des peuples, leur fidélité aux gouvernemens qu’ils ont établis eux-mêmes, doivent se mesurer à la constance qu’ils déploient pour la défense de leurs libertés. Ceux qui n’ont pas assez de courage pour tenir tête au pouvoir quand il les opprime en ont rarement assez pour le soutenir quand il chancelle. Loin de redouter la liberté et le contrôle qui tiennent les nations éveillées, les bons gouvernemens ne devraient craindre que ce silence de la solitude