Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/803

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’ils aiment à faire autour d’eux, et que, suivant la parole de Tacite, « ils appellent la paix… » Imprudens surtout ceux qui, s’appuyant sur la volonté populaire, ont peur de l’associer continuellement aux affaires publiques, qui traitent la démocratie comme un enfant dénué de raison à qui l’on ne dit qu’il est le maître que pour lui faire mieux accepter son esclavage, qui la cajolent et la rudoient à tour de rôle, suivant qu’elle les flatte ou leur résiste, et qui s’étonnent après cela qu’elle ait encore les caprices, les aveuglemens, les faiblesses et quelquefois les fureurs d’un enfant gâté, qui se plaignent qu’elle soit ignorante, et qui ne permettent pas qu’on l’instruise, qui lui reprochent tous les jours d’être un sable mouvant sur lequel on ne peut rien bâtir de solide, et qui n’osent pas appeler franchement à leur aide cette grande puissance conservatrice qu’on appelle l’organisation des partis.


II

C’est là, nous le savons bien, un mot qui sonne assez mal dans notre belle langue française, où les mots d’autorité et de centralisation administrative ont au contraire un si grand charme et une si pénétrante douceur. Aux yeux de beaucoup d’hommes qui semblent cependant raisonnables, et qui très certainement sont animés d’une sorte d’instinct libéral un peu vague, mais extrêmement sincère, l’organisation des partis est une abomination monstrueuse, le symbole même de la tyrannie démagogique et révolutionnaire, un composé exécrable de l’anarchie et de l’usurpation. Dans ce pays où l’on se défie si peu de l’influence du gouvernement sur les citoyens, on croit avoir tout à redouter de l’action des citoyens les uns sur les autres. On voudrait anéantir toutes les influences locales ou privées, même toutes les influences générales et collectives, à moins qu’elles ne se produisent sous la protection administrative et avec le caractère officiel. C’est ce qu’on appelle protéger la liberté du citoyen et mettre chacun des membres de la nation souveraine en relation directe avec le gouvernement, son mandataire. Si quelque intermédiaire intéressé venait à se glisser dans leurs confidences, la sincérité de leurs rapports en serait, dit-on, gravement altérée, et il pourrait s’élever entre eux des malentendus qui fausseraient leur jugement. Toute la vie politique d’un pays libre doit donc se réduire, suivant cette théorie, à une espèce de dialogue intime entre le citoyen, souverain légitime, et le gouvernement, ministre de ses volontés. Le secret et la solitude sont la condition de notre indépendance. L’électeur ne pourra pas donner librement son suffrage, à moins qu’il ne demeure isolé dans son ignorance et