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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/804

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dans sa faiblesse individuelle. L’idéal de cette liberté serait un cachot bien épais et. bien sombre où le geôlier viendrait de temps à autre demander les ordres de son prisonnier.

Nous l’avons déjà démontré, tel n’est pas le train des affaires humaines : ce captif éternellement enfermé dans ses méditations solitaires, si. même il avait le bonheur d’échapper à la folie ou à la stupidité finale, ne serait point assurément un souverain des plus éclairés. Qui ne voit d’ailleurs que dans ce tête-à-tête entre l’état, ce personnage si puissant, si florissant, si redoutable, et l’individu, chétif, maigre et désarmé, l’état peut trop aisément se donner raison ? Pour se défendre contre les entreprises de ce géant toujours vorace, les citoyens n’ont d’autre ressource que de se coaliser fortement. Aussi les démocrates éclairés d’à présent n’en sont-ils plus depuis longtemps à cette erreur surannée de l’école de Rousseau. Ce sont les conservateurs qui ont hérité de cette doctrine, et qui essaient de s’en faire une arme contre la démocratie moderne, sous couleur d’un zèle suspect ou tout au moins inattendu. Nous entendons tous les jours des hommes qui retireraient volontiers le droit de suffrage au peuple s’indigner de l’influence coupable et de la tyrannie des partis, qui attentent à sa liberté. Seulement, — et c’est là le secret de leur soudain enthousiasme pour l’inviolabilité de la conscience populaire, — ils entendent réserver à l’état toute l’influence qu’ils refusent aux partis. Ils n’hésitent pas à déclarer que l’état doit assumer la charge et la direction des consciences, que ce qui est violence et corruption chez les partis n’est plus de sa part qu’intervention paternelle et louable sollicitude, qu’enfin le gouvernement doit prendre chaque citoyen par la main, ou le pousser, s’il en est besoin, par les épaules, parce que tel est le seul moyen de ; discipliner la démocratie et de gouverner d’accord avec elle. A tous les maux de la société moderne » ils ne voient pas d’autre guérison que l’emploi direct ou déguisé de la force. Autant dire que la démocratie est une guerre sourde et permanente entre la caserne et les barricades, et qu’il vaut mieux la mener à coups de plat de sabre que d’avoir à la réprimer à coups de canon.

Il n’y a qu’un moyen pour assurer la paix au sein d’une société démocratique, c’est de permettre et de favoriser autant qu’on le peut la formation des grands partis politiques. On ne veut point parler ici de cette paix apparente’ et silencieuse qui recouvre souvent des inimitiés profondes et qui est le bienfait comme le danger du pouvoir absolu. L’espèce de repas qui doit régner dans la démocratie n’étouffe en rien l’activité de ces luttes légales et régulières dont la salutaire agitation ne sert justement qu’à maintenir la paix.