Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/854

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

laquelle toutes les alliances politiques qu’il avait jusque-là contractées sur le continent s’étaient toujours brusquement rompues. Peu à peu la conviction s’était formée chez lui qu’il n’en serait peut-être pas de même de celles qui seraient resserrées par un lien domestique. La Russie, par exemple, qui ne l’avait que si faiblement assisté pendant sa dernière lutte, n’aurait-elle pas montré un peu plus d’ardeur, s’il avait été l’époux d’une grande-duchesse, sœur de l’empereur Alexandre ? Au moment où il poursuivait partout, pour les chasser de leurs trônes, les princes de la maison de Bourbon, ne serait-il pas d’une bonne politique de donner aux autres grandes familles souveraines, par quelque alliance matrimoniale contractée avec elles, l’assurance qu’il n’était pas un césar démagogue se proposant de faire table rase des dynasties européennes ? Placé à la tête des monarques du continent, que pouvait-il faire de mieux que de mêler son sang avec le leur ? N’était-ce pas le seul moyen de calmer leurs ombrages naturels, de désarmer les mouvemens de susceptibilité et d’orgueil, auxquels il attribuait, bien à tort suivant nous, les froideurs secrètes et les sourdes trahisons qu’il se plaignait d’avoir toujours rencontrées dans ses relations antérieures avec les cabinets étrangers ?

Ces idées avaient surtout germé dans la tête de Napoléon durant les quelques semaines d’anxiété militaire qui avaient suivi les combats incertains livrés, dans le courant de mai et de juin 1810, autour de Vienne. Arrivé après Wagram au faîte de sa puissance, l’empereur, comblé de gloire, mais gardant l’impression des dangers qu’il venait de courir, arrêta définitivement le projet de dissoudre, à son retour en France, une union qui ne pouvait plus lui donner d’héritier, et d’assurer par un mariage à l’étranger l’avenir du grand établissement que tant de belles victoires avaient sans doute contribué à fonder, qu’elles n’avaient pas cependant, à ses propres yeux, suffisamment consolidé. Ainsi qu’il arrive d’ordinaire, cette secrète résolution, dont il n’avait parlé à personne, avait été pressentie à l’avance par la plupart de ceux qui avaient intérêt à la connaître. Seul, le sage et discret Cambacérès fut, le jour même de son arrivée aux Tuileries (là novembre 1810), admis à recevoir les confidences du maître ; mais, suivant son usage, l’archi-chancelier s’était d’autant plus gardé d’en laisser rien transpirer qu’il n’approuvait pas entièrement les ambitieux desseins qui lui furent alors développés avec une hauteur de langage dont cet ancien conseiller du premier consul se sentit lui-même effrayé, non pas qu’il craignît de voir diminuer son propre crédit, qu’il savait inébranlable, mais parce qu’il jugeait qu’il est « des ménagemens délicats, toujours nécessaires à garder pour conduire un peuple