Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/881

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lettres de l’épitropie, c’est-à-dire du comité qu’avaient formé, pour suivre et diriger leurs affaires, les paysans réunis, dans le voisinage de la ville. C’était se déclarer ouvertement le patron de la future insurrection. Avec un peu moins d’intempérance dans les paroles et dans les actes, le vice-consul d’Italie, jeune homme nouvellement arrivé dans, le pays, avait, pris aussi, une attitude bien faite pour encourager la résistance ; il écoutait complaisamment les Grecs qui lui disaient que la France et l’Angleterre ne voulant pas d’eux, l’Europe ne leur permettant pas de s’annexer à la Grèce, ils pourraient peut-être s’offrir et se donner à l’Italie. Venise, n’avait-elle pas été pendant des siècles maîtresse de la Crète, où s’apercevaient encore partout les traces de son passage et de sa domination ? En reprenant la Crète sous sa bienveillante tutelle, l’Italie ne ferait que rentrer en possession d’une colonie qu’elle avait perdue, non par le vœu du peuple, mais par le sort des batailles. Derrière ces deux agens se cachaient, heureux d’avoir leurs collègues à mettre en avant, les consuls de Grèce et de Russie, à qui la situation particulière des puissances qu’ils représentaient imposait tout au moins quelque apparence de réserve. Les articles du Levant-Herald, journal qui paraît à Constantinople, étaient rédigés dans le sens le plus hostile au gouvernement turc par le consul américain, qui ne s’en cachait pas. Quant aux correspondances bien plus violentes encore des journaux grecs, plusieurs d’entre elles, au su de tout le monde à La Canée, émanaient presque du vice-consul de Russie, étaient écrites par des personnes de sa famille et de son entourage. La Porte n’avait aucune illusion sur les sentimens que ces agens nourrissaient à son égard, ni sur le rôle qu’ils jouaient ; elle avait fait des observations aux puissances qu’ils représentaient, et demandé leur changement sans pouvoir l’obtenir. Ces démarches n’avaient eu d’autre résultat que d’engager ces consuls à persévérer dans la voie qu’ils avaient choisie, et de leur persuader qu’en agissant ainsi ils se conformaient aux secrètes pensées des cabinets qui les avaient nommés.

Ce fut le 23 juillet seulement que le grand-vizir, Mohamed-Ruchdi-Pacha, se décidait à expédier la réponse que faisait le cabinet ottoman à ce que l’on affectait d’appeler « la requête signée par certains habitans de la Crète ; » cette pièce fut affichée à La Canée le 1er août, plus de trois mois après le jour où la pétition avait été remise au gouverneur-général. La réponse n’était pas de nature à calmer les passions soulevées. Au jugement de notre consul, que les journaux grecs ont si indignement calomnié et qu’ils ont accusé d’être vendu aux Turcs, la plupart des réclamations crétoises méritaient un sérieux examen. Or le grand- vizir se contentait