Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 74.djvu/955

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ministres persans, il eut la délicatesse de ne rien recevoir. De précieux bijoux lui avaient été offerts pour sa femme : « Sachez, répondit-il avec hauteur, qu’à l’époque où j’étais à Mysore les ministres de cet état m’auraient volontiers comblé de présens ; au lieu d’accepter, je les engageai à faire une belle route dont ils avaient grand besoin et à la dédier à mistress Malcolm. Voilà les cadeaux qui me plaisent. »

Cette ambassade, dont Malcolm s’était tiré avec honneur, était à son avis la dernière mission qu’il devait remplir pour la compagnie des Indes. Peu de temps après son retour à Bombay, il revenait en Europe avec sa jeune famille dans l’intention presque arrêtée de renoncer aux fonctions publiques et de s’établir en Angleterre. Il était depuis vingt-huit ans dans l’Inde ; il y avait acquis une fortune modeste, mais proportionnée à ses besoins ; l’absence des distinctions qu’il croyait avoir méritées le dégoûtait du service. Toutefois il n’avait encore que quarante-trois ans ; dans la force de l’âge, il avait quelque pressentiment que l’oisiveté ne le rendrait pas heureux et tranquille. Il convient de remarquer ici que la position des officiers de l’armée des Indes n’était pas très claire en Angleterre. D’un côté, les grands événemens qui s’accomplissaient en Europe jetaient un voile sur leurs services lointains, même les plus distingués, et de l’autre, quoiqu’ils fussent au fond les serviteurs indirects de l’état et les auxiliaires très actifs de la politique britannique, ils étaient considérés en fait comme les agens de la compagnie, c’est-à-dire d’une association de marchands. L’honorable compagnie des Indes s’était déjà sans contredit bien écartée du but primitif de son institution, qui devait se borner au commerce avec les nations asiatiques ; elle était devenue souveraine, elle traitait avec les monarques, décidait de la paix et de la guerre. Ses officiers militaires et civils avaient cessé depuis longtemps de faire le commerce pour leur propre compte. De commis, ils étaient passés fonctionnaires. Toutefois on ne s’habituait pas encore à voir en eux autre chose que les hommes à gages d’une entreprise industrielle. Non-seulement des officiers qui avaient tenu de hauts emplois en Asie ne pouvaient entrer dans les cadres de l’armée anglaise, mais on les excluait même des grands commandemens dans l’Hindoustan. Malcolm avait été créé chevalier peu de mois après son retour ; cette récompense honorifique, qui est dévolue à tous les genres de mérite, au général comme à l’alderman, au savant comme à l’homme de lettres, ne contribuait pas à rétablir entre les serviteurs de la couronne et les serviteurs de la compagnie la parité que ceux-ci réclamaient avec instance. Ce que Malcolm convoitait en ce moment, c’était de servir avec son grade de l’armée des Indes sous