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l’on donnait à la révolte l’occasion de lever la tête sous un prétexte religieux ou politique, elle se trouverait appuyée par tous les partisans des princes déchus, par tous les parasites de ces cours orientales dont l’occupation anglaise punissait les folies et l’extravagance. C’était prévoir, que l’Oude serait un dès principaux foyers de la rébellion.

Au mois de janvier 1857, quelques cipayes hindous de la caste des brahmines que l’on exerçait à l’arsenal de Dum-Dum au tir de la nouvelle carabine Enfield se mettent dans l’esprit que les cartouches appropriées à cette arme sont enduites de la graisse d’un animal, veau ou porc, qu’il leur est interdit de toucher. Cependant on les rassure, et on les retient dans le devoir. Le 26 février, un régiment natif stationné tout près de là, à Berhampore, refuse d’accepter les nouvelles cartouches, et deux soldats fanatiques assomment leurs officiers européens ; on licencie le régiment et l’on passe par les armes les deux insurgés. Bientôt ces déplorables événemens se propagent avec rapidité dans toutes les provinces de la présidence du Bengale ; tous les Hindous des castes supérieures s’imaginent que le gouvernement anglais conspire contre leur religion ; l’insurrection devient générale ; elle éclate le 24 avril à Delhi et le 2 mai à Lucknow. De l’embouchure du Gange aux frontières du Pendjab, les Anglais sont attaqués dans leurs cantonnemens. Le vieux prestige de la suprématie européenne était perdu.

La compagnie des Indes comptait dans ses armées 40,000 soldats hindous originaires du pays d’Oude. Sir Henry Lawrence se dit tout de suite que la ville de Lucknow lui serait disputée avec acharnement, et que même les succès remportés par les Anglais sur d’autres points auraient pour effet de faire refluer vers lui les cipayes débandés. En sa qualité de commissaire du royaume, il n’avait la main que sur l’administration civile. L’un de ses premiers soins fut de demander au gouverneur-général, lord Canning, d’être également revêtu des pouvoirs militaires, ce qui lui fut accordé sur-le-champ. Au reste, il y avait droit par son grade, car il était alors brigadier-général. Investi de cette double autorité, il profita de quelques jours de répit que les insurgés lui laissaient pour centraliser à la résidence les moyens de défense dont il disposait, s’approvisionner de grains et d’eau potable, s’entourer de fortifications. Il était maître de la ville, et pouvait rayonner, avec les quelques centaines d’Européens sous ses ordres, à une faible distance de ses cantonnemens. mais sans oser porter secours aux stations voisines, dont il recevait les plus tristes nouvelles. Il n’y avait plus d’espoir que dans l’arrivée des secours demandés avec instance à Calcutta.