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À la fin de juin, la position empirait encore. On apprenait à Lucknow que plusieurs régimens insurgés s’avançaient vers la ville au nombre de 15 ou 16,000 hommes avec trente pièces de canon. Mal conseillé par les officiers trop ardens qui l’entouraient, sir Henry Lawrence se résolut à faire une sortie vigoureuse en emmenant à la suite des troupes européennes les détachemens indigènes restés fidèles. Cette tentative eut le plus triste résultat. Arrivés en face des révoltés, les artilleurs indigènes abandonnèrent leurs canons et passèrent à l’ennemi ; les malheureux Anglais, écrasés par des forces supérieures, épuisés par la chaleur intense du soleil, — on était à l’époque la plus chaude de l’année, — se retirèrent en désordre et rentrèrent à Lucknow avec des pertes considérables. La situation devenait critique. Il fallut évacuer la ville et se retirer dans la résidence, qui était non pas un fort, mais un assemblage de maisons que l’on avait fortifiées à la hâte. C’était un siège que l’on allait avoir à soutenir. Les insurgés l’investirent en effet dès le lendemain. Lawrence avait continué d’occuper, malgré les instances de ses aides-de-camp, un appartement exposé au feu de l’ennemi, d’où il lui était possible de surveiller tout son monde. Le 2 juillet, un obus éclata dans la chambre où il reposait et lui fracassa la cuisse. Sa santé avait été si affaiblie par un long séjour dans l’Inde qu’il avait eu l’intention de revenir en Angleterre au moment où la crise éclatait. Les épreuves des deux derniers mois avaient achevé de l’épuiser. Les médecins lui déclarèrent aussitôt que la blessure était mortelle, et qu’il n’avait que deux ou trois jours à vivre. Il mourut le 4 juillet après avoir pourvu au commandement qu’il abandonnait, en remettant aux mains du gouvernement anglais l’avenir de ses enfans ainsi que l’asile Lawrence, qu’il avait établi, comme nous l’avons dit, en un temps plus heureux. Il voulut être enterré à côté de ses soldats, et prescrivit que l’on mît sur sa tombe ces simples mots : « Ici repose Henry Lawrence, qui s’efforça de faire son devoir, que Dieu ait pitié de lui[1]. »

En Angleterre aussi bien qu’au Bengale, cette mort fut considérée comme une calamité nationale. Lord Canning se plut à le témoigner en en transmettant la nouvelle à Londres. Lord Stanley, qui avait visité Lawrence dans ses cantonnemens du Pendjab, rendit un hommage public aux grandes qualités intellectuelles et morales

  1. Après la prise de Delhi, au mois de septembre, tous les efforts de l’insurrection se tournèrent contre Lucknow. La vaillante garnison tint ferme jusqu’au bout. Le général Havelock était venu à son secours ; mais il y fut bloqué lui-même, et il ne fut délivré que deux mois après par sir Colin Campbell. Cette défense héroïque et la conquête définitive du royaume d’Oude au mois de mars 1858 comptent parmi les plus beaux faits d’armes de cette triste et mémorable guerre.