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toujours le cas de s’apitoyer ? Ce ne l’était pas à coup sûr pour cet exode irlandais qui a affranchi tout un peuple de la famine. Pour l’Allemand du Tyrol, de la Haute-Saxe et de la Poméranie, qui tire d’un sol ingrat la plus maigre des pitances, c’est aussi une forme de soulagement et la perspective de mieux vivre ; c’est en outre un accès ouvert sur la propriété, ce rêve des existences dénuées. Malthus et ses partisans insistent sur les souffrances de l’émigrant, sur les fatigues de la traversée et les risques de la vie, du pionnier ; tout cela s’efface devant la jouissance d’un petit domaine. Il en est si bien ainsi que la volonté entre désormais plus que le besoin dans ces déplacemens. La spéculation s’en est mêlée ; il y a des compagnies pour aplanir les voies, opérer les transports à prix réduits, préparer les lots sur lesquels les colons se dirigeront dès l’arrivée avec la moindre dépense de temps et d’argent, consentir au besoin, pour les plus solvables, à des avances qui seront remboursées sur les premiers produits. C’est là un des signes des temps ; ce qui au début du siècle eût passé pour une véritable entreprise est devenu la chose du monde la plus naturelle ; on s’en tire sans beaucoup d’émotion. Malthus aurait donc un écoulement tout indiqué pour ces êtres qu’il aimait mieux supprimer que vouer à la misère. Les voyant pourvus, peut-être se fût-il désisté de ses rigueurs, et ce serait tout bénéfice pour ces fortes races saxonnes, qu’en fait de descendance il eût volontiers réduites à la portion congrue, et qui n’en sont pas moins les meilleurs instructeurs que l’on connaisse pour les peuples retardataires.

Voilà où en est la doctrine économique au sujet du problème ou du principe de la population ; mais est-ce vraiment un point de doctrine ? Les traités l’affirment, et pourtant le doute est permis aussi bien que pour la rente du sol. Le moindre tort de ces hors-d’œuvre, de ces thèses d’école, c’est de manquer de sanction. Il n’en est pas de même des questions de tarifs et de liberté commerciale : on est ici en pleine économie politique, et on le sent à l’agitation que soulèvent les débats de cette nature.


III

Jusqu’en 1842, on l’a vu, il n’y avait eu dans les congrès américains que des escarmouches insignifiantes au sujet des tarifs. Introduite et maintenue par le bon sens populaire, la liberté du commerce paraissait tellement identifiée au bien-être du pays qu’on eût été mal venu à en troubler l’exercice. Dans ces termes, les droits de douane ne pouvaient être une charge bien lourde et encore moins un