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l’autorité royale. Cazalès, déplorant la destruction du clergé, de la noblesse et des parlemens, est interrompu par des murmures. « Il est étonnant, s’écrie Lavie, qu’on ne veuille pas entendre l’oraison funèbre de tant d’oppresseurs. » — « Il me serait facile de prouver, reprend Cazalès, que c’est l’oraison funèbre de la monarchie. » Tel était bien le point capital du désaccord qui se cachait au fond de ce débat tout métaphysique entre les deux partis extrêmes de l’assemblée. Mirabeau ne s’y était point engagé, mais en rectifiant une assertion de Maury sur la nature des gouvernemens il avait tout à coup ramené la question à ces termes : « Il y a une manière vraiment simple de distinguer dans l’ordre judiciaire les fonctions qui appartiennent au prince de celles auxquelles il ne peut participer en aucun sens. Les citoyens ont des différends, ils nomment leurs juges : le pouvoir exécutif n’a rien à dire quand la décision n’est pas proférée ; mais là où finissent les fonctions judiciaires, le pouvoir exécutif commence. Il n’est donc pas vrai que ce pouvoir ait le droit de nommer ceux qui profèrent la décision. » En cela, Mirabeau, qui était déjà en communication avec la cour, ne cherchait-il pas à pousser les choses à l’extrême afin de compromettre l’œuvre de l’assemblée ? Il disait bientôt dans une de ses notes secrètes : « Les tribunaux vont être formés, comment le seront-ils ? Un officier municipal peut cacher sa nullité par son inaction, et la généralité des citoyens est d’ailleurs assez indifférente sur l’administration publique. La justice au contraire est un besoin de tous et de chaque instant. Comme elle doit commander le respect, elle doit inspirer la confiance ; ses erreurs sont des iniquités, ses iniquités excitent à la vengeance. Je vois déjà les plus funestes dissensions éclater avant que les tribunaux de toute espèce puissent seulement s’organiser. Tout le monde a prévu, ceux même qui l’ont établi, que cet ordre de choses ne tiendrait pas. » Le comité de constitution eût volontiers accepté une transaction, puisqu’il avait proposé la présentation au roi d’une liste de deux juges ; mais la théorie la plus radicale l’emporta. À une faible majorité, l’assemblée décida que le roi ne pourrait refuser son consentement à l’admission des juges élus par le peuple, et, à la majorité de 503 voix contre 450, qu’il ne lui serait présenté qu’un candidat pour chaque vacance. Tout se réduisait pour le roi à enregistrer ce choix et à délivrer au juge les lettres patentes de sa nomination. Quant au ministère public, chargé de veiller à l’application de la loi, il était bien un délégué du pouvoir exécutif, et sa nomination directe et à vie par le roi ne souffrit aucune difficulté.

L’assemblée venait de trancher une grave question, encore débattue avec animation dans les pays où la justice n’a point trouvé son assiette définitive. Était-ce là une mesure anti-monarchique,