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comme on le soutint alors et comme on l’a répété depuis ? Barnave, qui était aussi pour l’élection populaire, repoussa toujours cette accusation. Rentré dans ses foyers, revenant sur sa conduite à l’assemblée et sur les fautes qu’il avait pu commettre, il persistait à penser qu’après que le jury au civil avait été rejeté, ce mode de nomination était celui qui présentait le moins d’inconvéniens. On réfléchissait alors que la nomination des juges donnerait au chef de l’état la disposition de trois mille cinq cents places, et l’on ne pouvait se faire à cette idée à la sortie d’un régime où la magistrature se recrutait elle-même. Selon Barnave, quand le jury décide au civil, le juge, qui se borne à appliquer la loi comme en Angleterre, remplit une fonction exécutive, et peut être nommé par le pouvoir qu’il représente, et cela sans péril pour la liberté individuelle et la liberté publique, puisque ses fonctions ne lui fournissent aucun moyen de les opprimer. Tout change dès que les fonctions du juge et du juré sont cumulées, « le pouvoir qui en résulte peut être le plus oppressif, le plus dangereux de tous ; on peut disputer en théorie pour savoir s’il est ou s’il n’est pas une branche du pouvoir exécutif, mais on ne peut l’unir de fait à celui-ci sans établir la plus redoutable tyrannie. » On voit combien le principe de la séparation des pouvoirs entrait dans l’esprit des juristes de cette époque, et il est difficile d’admettre avec Mirabeau que, lorsque l’assemblée refusait au pouvoir la nomination des juges, elle savait qu’elle préparait une institution condamnée d’avance. On est revenu en France au système contraire, tandis que la Belgique, qui avait à choisir dans nos institutions, s’est rapprochée par son organisation judiciaire de celui de l’assemblée constituante. La magistrature belge, du moins la magistrature assise, est inamovible ; elle est nommée par le roi, mais le choix du souverain ne peut porter que sur les listes proposées par les corps électifs et par la magistrature elle-même. Les listes ne comprennent que deux candidats chacune, et sont dressées, l’une par le conseil provincial, l’autre par la cour d’appel pour les conseillers à la cour, pour les présidens et vice-présidens des tribunaux de première instance. Le ressort des cours d’appel comportant plusieurs provinces, l’ordre dans lequel le conseil provincial est admis en chaque province à présenter des candidats aux places vacantes est déterminé par la loi. Les cours choisissent ensuite dans leur sein leurs premiers présidens et leurs présidens de chambre. Toutes les présentations sont rendues publiques au moins quinze jours avant la nomination. Les juges de première instance et les magistrats du parquet à tous les degrés sont directement nommés par le roi. On ne cesse en France de s’élever contre la maladie de l’avancement, qui est causée surtout par l’insuffisance des