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tutions de sa patrie, qu’il regrettait la république et qu’il souhaitait la restauration de la liberté. On savait par une indiscrétion posthume qu’il avait écrit une lettre à Tibère pendant qu’ils commandaient, l’un l’armée de Germanie, l’autre l’armée de Pannonie. Dans cette lettre, il lui proposait de s’entendre « pour forcer Auguste à rendre aux Romains la liberté; » c’est l’expression dont se sert Tacite : de cogendo ad restituendam libertatem Augusto. Il est certain que, si les deux frères avaient marché sur Rome avec leurs légions, Auguste était à leur merci. On ignore ce que Tibère répondit à cette hardie proposition, ou plutôt il ne dut jamais y répondre. Sa prudence, d’accord avec son ambition, lui dictait le silence. Plus tard cependant, après la mort de Drusus, Tibère, fatigué de l’entendre louer sans cesse par Auguste, montra un jour les fameuses tablettes, qu’il avait conservées, bien sûr qu’on cesserait, dès qu’elles seraient connues au Palatin, de lui jeter au visage le souvenir importun des vertus de son frère. Il parvint à son but, mais le résultat qu’il avait moins prévu fut un redoublement d’amour et de regrets parmi les Romains. La mémoire de Drusus resta comme sacrée depuis cette époque. On ne doutait point d’une sincérité que la mort avait scellée. On répétait sans cesse dans Rome : « S’il avait eu le pouvoir, Drusus aurait rendu au peuple ses droits et sa liberté! » Cet espoir fut reporté sur son fils Germanicus, il explique la faveur qui l’entourait dès ses premiers pas, il lui traçait son rôle. Les paroles adressées par Drusus à ses amis, ses intentions déclarées, ses engagemens, sa lettre à son frère, démarche si décisive et si courageuse, assuraient à sa famille l’amour des citoyens et la haine des empereurs.

Nous connaissons Drusus. Le musée du Louvre possède un buste qui le représente et qui est assurément un des chefs-d’œuvre du siècle d’Auguste; ce buste était depuis la renaissance au palais de Fontainebleau et avait été envoyé de Rome. Ce qui frappe d’abord, c’est la forme de la tête, qui est ronde, bien pleine, d’une heureuse proportion. Toutes les facultés y sont en équilibre, tout est à sa place, tout est sensé, raisonnable, expliqué à l’extérieur; c’est ce qu’on appelle une tête admirablement faite. Le front a quelque ressemblance avec le front de Tibère. Presque tous les princes de la famille de Tibère et d’Auguste, même les meilleurs, ont le front développé non en hauteur, mais en largeur. Cette particularité ne se retrouve plus sous les successeurs de Néron. Il faut aller jusqu’à l’époque de Constantin pour retrouver une conformation aussi caractéristique, qui semble annoncer la prédominance des appétits sensuels. Hâtons-nous d’ajouter que chez Drusus la proportion est encore heureuse; la ressemblance avec son frère se fait sentir sans être exagérée, et, s’il y a quelques pronostics qui trahissent la race, ils ont