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sa cause la plus secrète, jusqu’au mobile caché qui lui a donné naissance. Il sait à merveille, et même il sait un peu trop, à notre avis, que les causes réelles des faits sont rarement celles qui sont apparentes et qui tombent sous la prise du sens commun. Pour emprunter au langage de notre époque un mot qui sent son Bobèche, mais qui est singulièrement pittoresque et expressif, il aime en toutes choses à chercher la petite bête. Avant d’appliquer aux phénomènes de la vie contemporaine ses facultés d’investigation curieuse et subtile, il les avait appliquées au passé et s’était fait réviseur d’opinions accréditées. Il y a bien des années déjà que paraissait son premier essai en ce genre, un livre sur William Penn, dans lequel il défendait l’illustre chef des quakers contre les attaques acerbes et sans merci de Macaulay, et prouvait à l’éloquent historien qu’un chef de secte placé, comme l’était William Penn, en dehors de tous les partis en lutte et professant les doctrines de paix qui ont rendu son nom célèbre, pouvait, sans être un courtisan, profiter de la bienveillance de Jacques II pour servir les intérêts de ses coreligionnaires. Depuis, il a continué ce travail d’investigation sur John Howard, sur Robert Blake, et surtout sur lord Bacon. De même qu’il avait défendu William Penn contre Macaulay, il a défendu le grand philosophe contre lord Campbell, et son plaidoyer, surtout en ce qui concerne les relations de Bacon avec Essex et le procès de cet ingrat factieux, est vraiment digne d’être pris en considération. Puis il a exécuté un voyage en terre sainte, où il a suivi pas à pas, dans son court pèlerinage à travers ce monde, les traces saintes de Jésus.

Comme tous ceux qui ont pour principal mobile la curiosité, il ne laisse pas apercevoir d’opinions nettement tranchées ; il prend trop de plaisir à la variété des spectacles que présente le combat des doctrines pour décider entre elles avec cette brutalité et cette justice sensées qui sont le privilège plus lucratif que glorieux de l’homme de parti. Il fraternise volontiers avec les hommes de toute secte et de toute école, car il ne voit en eux qu’une matière d’instruction et d’expérience. Il a vécu dans l’intimité des sérails de Brigham Young et de ses coreligionnaires, et au sortir de cette atmosphère de polygamie il est allé respirer l’atmosphère de célibat des bons et inoffensifs shakers, étudier sur place les mystères de cette singulière communauté d’Oneida Creek, où le mariage est aboli. Pour dire le vrai, il résulte bien quelque incertitude de pensée de cette impartialité si grande, et cette curiosité finit par dégénérer en quelque chose qui ressemble singulièrement au dilettantisme. On me disait récemment que les Orientaux ont l’oreille tellement fine qu’ils peuvent percevoir sans la moindre difficulté des douzièmes de ton en musique ; il en est un peu ainsi de M. Dixon,