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des spiritualistes, qui reconnaît pour son prophète le cordonnier Andrew Jackson Davis, de Poughkeepsie, a toujours eu une tendance à l’abolition du mariage. Dans son livre des Spiritual wives, M. Dixon nous apprend qu’il s’est formé près de New-York, à Long-Island, une société qui prétend reposer sur des principes positivistes, et qui s’intitule société des temps modernes, comme qui dirait du nouveau genre par opposition aux vieilles mœurs. Ce que nous voyons de plus clair, d’après le rapport de M. Dixon, c’est que cette société refuse à autrui le droit de regarder dans les affaires de l’individu. Chacun est maître chez soi ; s’il me plaît d’avoir douze femmes, qu’avez-vous à y voir? M. Dixon nous apprend encore que les unions fondées sur le principe du free love sont devenues si communes, que dans plusieurs cas les tribunaux américains ont été obligés, assure-t-il, de les reconnaître indirectement et d’attribuer la fortune des parens aux enfans non légitimés issus de ces mariages mobiles.

Un fait fort singulier et qui ne peut s’expliquer que par l’étonnante plasticité de la nature féminine, c’est qu’il se soit trouvé des femmes pour se prêter à l’expérience de la polygamie dans un pays où elles sont reines. En admettant que le mariage soit un joug, ce n’est au moins pour la femme qu’un servage, tandis que la polygamie est l’esclavage sous sa forme la plus antique et la plus méprisante. Je dis à dessein méprisante, car là où la polygamie est établie, il est inévitable qu’il ne s’ensuive en peu de temps une médiocre estime pour la nature féminine, même lorsque cette institution a été d’abord fondée avec de tout autres sentimens. Sous ce rapport, les mormons n’ont pas échappé à la loi commune. « Les femmes, disait Brigham Young à M. Dixon, seront sauvées plus aisément que les hommes, elles n’ont pas assez de bon sens pour aller loin dans le mal. Les hommes ont plus d’intelligence et de caractère, c’est pourquoi ils peuvent aller plus vite et plus sûrement en enfer. — La croyance mormonne, à ce qu’il semble, ne juge pas les femmes dignes de la damnation. » Il est vrai que la théologie mormonne leur offre une consolation : les femmes, quelles que soient leurs fautes, seront toutes les femmes des dieux (les mormons divisent en trois ordres tous les esprits existans, les hommes, les anges, les dieux), tandis que les hommes, en expiation de leurs péchés, s’arrêteront souvent à l’état d’anges. Cette riante perspective compense-t-elle pour les femmes les tristesses de la vie de harem sur cette terre? Il est permis d’en douter, car les impressions rapportées d’Utah par M. Dixon concordent parfaitement avec ce que l’expérience de tous les siècles a recueilli.

Nulle part, nous dit-il, il n’a trouvé chez les femmes cette gaîté, cet éclat, cette curiosité brillante qui les caractérisent dans nos so-