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ciétés. Une taciturnité morose s’étend sur leur beauté comme sur leur esprit. « Elles savent peu et prennent intérêt à peu de choses. J’affirme qu’elles sont toutes d’excellentes nourrices, et je sais que beaucoup d’entre elles sont très habiles dans l’art de sécher et de conserver les fruits… Dans quelques maisons, les femmes de nos hôtes, des enfans sur les bras, couraient à travers les chambres, portant et débouchant les bouteilles de vin de Champagne, déposant les gâteaux et les fruits, allumant les allumettes, glaçant l’eau, tandis que les hommes étaient à se dandiner dans leurs fauteuils, les pieds hors de la fenêtre, fumant leurs cigares et lampant leurs coupes de vin. Les dames sont en général simplement, pour ne pas dire pauvrement vêtues, sans couleurs brillantes, sans gais ornemens. »

L’attention, la courtoisie, le respect, sont choses inconnues à Utah. Lorsqu’un homme veut se marier, il ne s’inquiète pas de s’assurer du cœur de la jeune femme ; il cherche à s’assurer de deux choses : d’abord de la volonté du ciel, en second lieu de la volonté de son représentant, Brigham Young. S’il veut prendre une troisième ou quatrième femme, il consulte la première comme étant la plus âgée, et se dispense de prendre l’avis des autres. Les femmes en titre, il est permis de le croire, regardent souvent les nouvelles venues avec les yeux dont Sara regarda la servante Agar ; aussi les mieux avisés des mormons me paraissent-ils ceux qui, comme l’apôtre Taylor, qui est possesseur de sept femmes, les logent dans des cottages séparés. De cette façon, on évite les querelles, et puis, si les logemens sont ingénieusement espacés, on est toujours chez soi, dans quelque quartier de la ville que l’on se trouve. Tout ce que la croyance religieuse, qui a tant de prise sur la nature féminine, semble avoir pu faire, c’est d’amener les femmes à accepter avec une sombre résignation une institution contre laquelle protestent les instincts de leur sexe. Aussi beaucoup se repentent-elles de l’expérience à laquelle elles se sont prêtées, s’il faut en croire les confidences de M. Dixon.


« J’ai causé seul et librement avec huit ou neuf différentes jeunes filles qui toutes ont vécu au Lac-Salé deux ou trois ans. Elles sont incontestablement mormonnes, elles ont fait de grands sacrifices pour leur religion, mais après avoir vu la vie de famille de leurs frères les saints elles sont toutes devenues fermement hostiles à la polygamie. Deux ou trois de ces filles sont jolies, et auraient pu être mariées au bout d’un mois. Elles ont été beaucoup courtisées, et une d’elles n’a pas reçu moins de sept offres. Quelques-uns de ses amoureux sont vieux et riches, quelques-uns jeunes et pauvres, ayant leur fortune encore à trouver. Les vieux ont déjà leurs maisons pleines de femmes, et elle n’a pas voulu