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fasciner la jeunesse en lui parlant de droit, de justice idéale, de liberté, et où est même la jeunesse disposée à se laisser fasciner par les grands mots qui ont eu le pouvoir d’échauffer et d’élever les âmes en les tenant prêtes à toutes les revendications généreuses ?

Nul assurément n’était plus propre que M. de Rémusat à recevoir M. Jules Favre, à parler après lui de ces temps d’autrefois, sans amertume d’ailleurs et sans vaines récriminations contre le temps présent. Contemporain de M. Cousin, il le connaissait bien, et il l’a peint avec une fidélité de souvenir, une justesse de trait, une ingénieuse liberté, qui ont rétabli le ton là où il avait été légèrement altéré par M. Jules Favre. Il a décrit la physionomie de l’homme en peintre qui n’a qu’à puiser dans sa mémoire, et les idées du philosophe avec l’aisance supérieure d’une intelligence depuis longtemps maîtresse de ces difficiles problèmes. D’un autre côté, dans cette génération à laquelle appartenait M. Cousin, qui a eu certes un grand rôle politique, qui a fait l’éclat de l’époque constitutionnelle, M. de Rémusat est resté toujours un des esprits les plus vifs, les plus ouverts, les plus sincères, un de ceux que les nouveautés effraient le moins, qui sont le moins insensibles au mouvement des choses. Il s’efforce de tout comprendre, mais non pour se résigner à tout, comme il en fait spirituellement le reproche à ceux qui se préparent par la curiosité critique à un scepticisme découragé, par le scepticisme moral à toutes les défaillances de la vie publique. Il n’y a pas d’esprit plus libre, plus tolérant, plus raffiné, et il n’y a pas de conscience mieux affermie sur certains points essentiels. De là le charmé de ce discours, un des plus heureux que l’Académie ait entendus, où la philosophie et la politique se combinent dans une si naturelle alliance, où s’enchaînent les souvenirs, les peintures de l’éloquence, les analyses lumineuses, et où l’homme revit tout entier, honnête, éclairé, facilement indulgent, mêlant comme une ardeur de jeunesse à une expérience sans amertume. C’est un des types les plus séduisans de vrai et juste libéralisme survivant à toutes les épreuves. M. de Rémusat est en effet un de ceux que les malheurs publics peuvent affliger sans les décourager, sans altérer surtout leur fidélité à des convictions généreuses, sans affaiblir leur culte pour « la philosophie et l’éloquence, ces deux vaillantes gardiennes de la dignité humaine, » et ce n’est pas lui qu’il serait facile de convertir à ces maximes de sagesse politique qui voudraient faire une nation de Chrysales « vivant de bonne soupe et non de beau langage. » Au fond, ces deux discours, celui de M. de Rémusat et celui de M. Jules Favre, sous des formes et avec des talens si différens, à quoi tendent-ils l’un et l’autre, si ce n’est à remettre une fois de plus en honneur ce qu’un peuple n’oublie pas sans en porter la peine, à raviver ces notions de loyale et saine liberté qui sont la force d’une société éclairée ? Ils procèdent donc, ces deux discours, de la même inspiration, et ils se rencontrent au terme dans la même conclusion fortifiante.