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investi d’un grand rôle par les alarmes de M. Dupanloup. Malheureusement il y a un certain nombre de choses dont M. l’évêque d’Orléans paraît ne pas s’apercevoir. Ses brochures n’ont point de sens, ou elles provoquent l’état à prendre une attitude répressive, à exercer tout au moins une police sévère, car, pour recourir à la vraie solution, la liberté, M. Dupanloup ne semble pas y songer. Fort bien : que l’état dans sa toute-puissance disperse les francs-maçons, qu’il cesse d’autoriser les écoles professionnelles, les bibliothèques populaires, qu’il mesure aux professeurs le droit de penser, M. l’évêque d’Orléans le trouvera bon ; mais si, après avoir réprimé les manifestations des libres-penseurs, l’état en vient aussi à réprimer les manifestations catholiques le jour où il les considérera comme gênantes, M. l’évêque d’Orléans le trouvera-t-il également bon ? Et cependant n’aura-t-il pas contribué à forger les armes qui se tourneront contre ses croyances ? De quel droit pourra-t-il se plaindre qu’on lui applique la loi qu’il invoque contre les autres ? M. Dupanloup ne voit pas de plus que, si ces doctrines matérialistes qu’il combat, qui n’ont en effet rien de séduisant, ont pris depuis quelque temps une certaine importance, elles le doivent assurément en partie à cette sorte de guerre dont elles sont l’objet. À l’excès des prétentions dans l’ordre religieux répond l’excès des idées et des tendances contraires. Si ces questions restaient dans la sphère de la discussion purement philosophique, ce ne serait rien ; mais derrière ces agitations, qu’on ne peut s’empêcher de trouver assez artificielles, il y a quelque chose de plus grave, il y a la révélation d’un fait qui s’accentue de plus en plus : c’est la lutte^engagée entre des tendances extrêmes, d’un côté les idées de conservation poussées à outrance, concentrées dans une réaction semi-politique, semi-religieuse, de l’autre le matérialisme révolutionnaire. La situation se simplifie,’nous en convenons. Malheureusement sous ces vaines agitations c’est le sol même qui est miné. Pendant qu’on se débat dans les nuages, c’est la réalité qui souffre, c’est la vie publique qui s’altère dans son essence, dans ses conditions premières, dans tout ce qui fait sa sûreté pratique et sa force.

Une des choses les plus sensibles en effet, c’est le dépérissement de ces notions pratiques et simples qui sont le ressort de toute vie publique sainement organisée, et c’est là peut-être ce qui devrait le plus attirer l’attention de tous les hommes engagés dans le courant de la politique active. Le corps législatif en est encore aujourd’hui à se reposer des travaux de la première partie de la session, où il a dépensé beaucoup d’ardeur pour faire des lois qui ne prouvent qu’une chose, la peine qu’a toujours un pays à rentrer dans les conditions d’une liberté à demi régulière, quand il en est sorti. Aujourd’hui ces lois sont livrées aux délibérations du sénat, et les velléités d’opposition qu’elles avaient rencontrées au premier moment semblent s’être quelque peu amorties. Le corps législatif va sans doute se remettre sérieusement à l’œuvre ; il a devant lui