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une campagne nouvelle qui peut devenir laborieuse, qui sera probablement avant tout financière, et l’une des questions les plus étranges qui l’attendent est assurément la liquidation des affaires de la ville de Paris. Cette liquidation se solde par une somme de 398 millions que la ville de Paris a reçue du Crédit foncier, qu’elle doit par conséquent, et qu’elle ne peut plus payer sans y être autorisée par une loi. Et voilà comment le corps législatif se trouve saisi d’une affaire sur laquelle il aurait dû avoir à se prononcer avant que de si formidables dépenses n’eussent été engagées ! On ne peut plus s’y méprendre aujourd’hui ; le rapport présenté au corps législatif par le conseil d’état à l’appui du projet autorisant l’emprunt de la ville de Paris, ou ce qu’on appelle par euphémisme le remboursement des sommes reçues par elle, ce rapport est l’exposé naïf de la situation qui a été créée par M. Haussmann. Franchement il faut que la cause ne soit pas des plus faciles à défendre pour que le conseiller d’état chargé de cette œuvre justificative, M. Genteur, ait cru devoir appeler au secours de M. le préfet de la Seine Voltaire lui-même, qui avait visiblement annoncé les travaux du Trocadéro et la percée du cimetière Montmartre. Ainsi voilà M. Haussmann transformé en exécuteur testamentaire de Voltaire et marchant dans sa voie triomphale, escorté des grandes ombres de Sully, d’Henri IV, de Louis XIV, de Colbert, de Napoléon Ier, qui ont joint leurs encouragemens à ceux de l’auteur de Candide !

M. le préfet de la Seine est trop modeste de partager ainsi la gloire de ses entreprises gigantesques. Il est bien certainement le seul inventeur du Paris nouveau, que personne n’avait rêvé, et devant lequel les visiteurs de l’exposition sont restés émerveillés, à ce qu’il paraît. Que M. Haussmann ait beaucoup fait, et que, parmi les travaux qu’il a entrepris, un certain nombre aient eu un véritable caractère d’utilité ou aient été simplement dignes d’une grande capitale, ce n’est point ce qui est à contester ; nul n’a mis en doute la vigoureuse aptitude de M. Haussmann, et d’un autre côté il serait par trop étrange que les sommes colossales qu’il a dépensées ne fussent pas représentées par des travaux d’une certaine importance. Toute la question est de savoir s’il pouvait aller aussi loin qu’il est allé, s’il avait le droit de procéder comme il a procédé, et s’il n’y a pas une mesure même à l’autocratie la plus prodigue. Tout compte fait, voilà en chiffres aussi brefs qu’éloquens le bilan de la ville de Paris au point où M. Haussmann l’a conduite, toujours pour réaliser les prédictions de Voltaire ! Les travaux de ces vingt ans se composent de trois réseaux, de trois systèmes de voies publiques nouvelles, de promenades, d’embellissemens. Le premier de ces réseaux est complètement achevé et a coûté 278 millions, qui sont payés. Le second, autorisé par une loi de 1858, devait coûter 180 millions, et il coûtera 410 millions. Le troisième réseau n’a point été autorisé, et coûtera 300 millions. En somme, la ville de Paris se trouve avoir