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dans d’autres grandes villes aussi bien que dans la capitale. En temps de pénurie du capital comme en temps d’abondance, la Banque de France n’est qu’un thermomètre : si son encaisse vient à diminuer de 2 ou 300 millions, cela n’indique pas qu’il ne manque que cette somme à la nation pour être en équilibre avec ses besoins, cela indique seulement qu’il y a des besoins dont on n’a pas la notion exacte, et qui dépassent dans une mesure plus ou moins forte les ressources disponibles. De même ces 6 ou 700 millions que la Banque possède aujourd’hui en trop ne sont qu’un symptôme de l’état du pays; ils prouvent que les ressources disponibles dépassent les besoins actuels dans une proportion dont l’excédant d’encaisse de la Banque n’est qu’un appoint. Voilà ce qu’il faut considérer quand on veut juger sainement la situation et se rendre un compte exact de la signification du milliard de la Banque de France. Le fait est plus grave encore qu’il n’en a l’air, précisément parce qu’il n’est qu’un symptôme.

Que faut-il entendre maintenant par la disponibilité de ces ressources et par le taux de l’escompte à 2 1/2 pour 100? Cela veut-il dire qu’on est prêt à les engager à ce prix, et qu’il n’y a pas de preneur? Non assurément; les 6 ou 700 millions qui sont en trop dans les caisses de la Banque, le milliard et plus qui existe ailleurs, ne sont pas disponibles à 2 1/2 pour 100. S’il ne s’agissait que de trouver des preneurs pour cette masse de capitaux qu’on dit disponibles parce qu’ils sont inactifs, on n’en manquerait pas. Il y a toujours des gens en quête de capitaux pour les aventurer dans des affaires plus ou moins douteuses. Ce sont précisément ces aventures que les capitaux fuient aujourd’hui. Ils les ont, hélas! trop caressées, et ce qu’ils veulent, c’est moins le profit que la sécurité. On ne se figurera jamais le mal qu’ont fait à l’esprit d’entreprise toutes les affaires déplorables, tant étrangères que françaises, qui ont absorbé des sommes énormes. On a quelquefois rendu hommage à l’initiative des hommes qui s’étaient mis à la tête de ces affaires, on les a félicités de l’impulsion qu’ils avaient donnée à l’activité industrielle et commerciale, du progrès qui en était la conséquence. Cela était juste, si l’on ne considère qu’un côté de la question. Il n’y a jamais, sauf des cas très rares, de capital employé d’une façon complètement inutile. M. Haussmann dépense aujourd’hui centaines de millions sur centaines de millions pour rebâtir Paris à sa fantaisie. Il est évident qu’il arrivera à nous faire ainsi une capitale superbe avec de magnifiques artères et des squares très agréables; mais il y a le revers de la médaille, et ce revers, c’est que, pour opérer cette transformation, il aura détruit des valeurs considérables, poussé à l’excès les taxes d’octroi, créé une main-d’œuvre