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désormais la libre circulation des subsistances. Nous avons subi et nous pouvons subir encore un renchérissement accidentel des denrées alimentaires; mais l’approvisionnement de nos marchés sera désormais en rapport avec les besoins de la consommation. C’est par la liberté des transactions qu’on devait arriver sans secousses à ce résultat. Pour y parvenir, il a fallu traverser des crises, des tâtonnemens, des révolutions, qu’il n’est point inutile d’indiquer rapidement.


I. — LA LÉGISLATION.

Tous les journaux que l’histoire a recueillis, celui que le bourgeois de Paris écrivit sous Charles VI, celui de Pierre de l’Estoile, celui de Buvat, celui de l’avocat Barbier, sont unanimes sur ce point : la vie matérielle devient de plus en plus pénible à Paris. La ville ne saurait subvenir à elle-même; pour se nourrir, elle fait appel à la province, à l’étranger, qui le plus souvent ne peuvent faire arriver les provisions jusqu’à elle, empêchés qu’ils sont par la guerre civile, par le brigandage, par le mauvais état des routes et surtout par une législation tracassière, qui met des frontières partout, de province à province, de ville à ville, exige des péages sous tous les prétextes, ruine, décourage, repousse les marchands forains. Le Journal du bourgeois de Paris n’est rempli que de lamentations sur le prix exorbitant des vivres. « Lors fut la chair si chère, que un bœuf qu’on avoit vu donner maintes fois pour huict francs ou pour dix tout au plus coustoit cinquante francs, un veau quatre ou cinq francs, un mouton soixante sols. » Pour remédier à ces maux, que faisait-on? Le blé valait 8 francs le setier (1 hect. 59); on défendit de le vendre plus de 4 francs, et on ordonna aux boulangers de fabriquer « pain bourgeois et pain festis » à un prix en rapport avec celui qu’on imposait au blé. Le résultat fut immédiat; les marchands cessèrent de vendre, les meuniers de moudre, les boulangers de cuire, et la ville tomba dans une misère sans nom.

Cette époque du reste est la plus triste de notre histoire; jamais peuple ne fut si près de sa fin. On pourrait croire qu’en cet état de souffrance et d’étisie la nation, parvenue au dernier degré de prostration, va se coucher et mourir. C’est alors que les paysans, réduits à des extrémités que, malgré l’unanimité des mémoires contemporains, on a peine à se figurer, font entendre une sorte de chant suprême de prières et de menaces que Monstrelet nous a conservé, et qui éclaire d’un jour profond l’abîme de misères où ce peuple se débattait en vain. C’est la Complainte du pauvre commun et des