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ancien secrétaire des assemblées du clergé, s’étant procuré les actes constitutifs de la société Malisset et se disposant à en saisir le parlement de Normandie, fut enlevé et disparut. On ne le retrouva que vingt-deux ans après, le 14 juillet 1789, à la Bastille.

Les premiers personnages de la cour, des princes du sang, des ducs et pairs, étaient secrètement les associés de Malisset. Dans son rapide passage au ministère, Turgot dut renoncer à lutter contre cette puissance, d’autant plus forte qu’elle était occulte. On sent qu’il soupçonne plutôt qu’il ne sait, et qu’il veut aux yeux des sujets dégager la personne du souverain, car l’article 3 de l’arrêt du 13 septembre 1774 à spécifie que le roi veut à l’avenir qu’il ne soit fait aucun achat de grains ou de farine pour son compte. Turgot, qui, disait-on, avait non pas l’amour, mais la rage du bien public, ne put résister au flot d’influences qui ébranlaient la volonté de Louis XVI; il quitta son poste le 12 mai 1776. Sa chute produisit des impressions bien diverses qui ont trouvé leur écho dans les correspondances de l’époque. « J’avoue que je ne suis pas fâchée de ce départ, » écrit Marie-Antoinette à sa mère. « Je suis atterré, écrit Voltaire, je ne vois plus que la mort devant moi depuis que M. Turgot est hors de place. Ce coup de foudre m’est tombé sur la cervelle et sur le cœur. »

Après Turgot, les ordonnances gothiques sont invoquées de nouveau, tout système disparaît, on va à l’aventure, et l’on arrive à ce point d’aberration que, par un arrêt en date du 15 janvier 1780, le parlement interdit l’usage de la faux pour couper les blés. Le traité Malisset ayant été renouvelé. Foulon et Berthier avaient été substitués aux anciens signataires de l’acte de 1765; seulement à cette heure on trouvait sans doute Jersey et Guernesey trop proches de la France, car nos blés étaient transportés à Terre-Neuve. Le caissier-général de l’association était un certain Pinet, qui avait succédé à ce Mirlavaud que l’abbé Terray avait nommé en 1773 trésorier des grains pour le compte du roi. Il offrait aux capitaux qu’on lui apportait un intérêt qui variait, selon les années, de 30 à 75 pour 100; on peut croire que l’argent ne lui manquait pas. L’instinct des masses ne s’était pas trompé. Sans rien savoir de ce qui se passait, elles devinaient en eux des accapareurs, et l’on sait comment périrent Foulon et Berthier. C’est le 22 juillet 1789 qu’ils furent mis à mort. Le 29, Pinet se rendit dans la forêt du Vésinet, où il fut retrouvé le lendemain, la tête fracassée, mais encore vivant.

La mort de ces malheureux n’amena point l’abondance, tant s’en faut; leurs agens épouvantés se cachèrent, n’osèrent révéler de quelles ressources l’association disposait, et les grains pourrirent