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permettait l’exportation dans certains cas et l’interdisait dans d’autres. L’hectolitre de blé français était frappé à la sortie d’un droit qui variait selon la valeur des grains sur les marchés; à 19 francs, il payait 1 fr. 35 cent., à 20 francs 1 fr. 50 c, à 21 fr. 2 fr., à 22 fr. 3 fr., à 23 fr. 4 fr.; à 24 francs, toute exportation était prohibée. Les mauvaises récoltes de 1810, 1812 et 1813 amenèrent une prohibition absolue.

En 1812, on alla plus loin; par le décret impérial du 4 mai, la loi du 21 prairial an V fut suspendue jusqu’au 1er septembre; les grains ne pouvaient être vendus que sur les marchés publics. On ne s’arrêta point là, et un décret du 8 mai fixa la valeur maximum de l’hectolitre de blé-froment à 33 francs sur les halles des départemens de la Seine, Seine-et-Marne, de l’Aisne, de l’Oise, d’Eure-et-Loir; le résultat ne se fit pas attendre : les marchés furent désertés, et tout commerce disparut. On aurait pu croire que le gouvernement français n’en reviendrait plus à ces extrémités, car toute précaution semblait avoir été prise pour parer à l’éventualité des disettes possibles. En effet, le décret du 9 août 1793 sur les greniers d’abondance[1], décret qui, à l’époque où il fut promulgué, ne produisit qu’une détente très passagère dans la situation, fut repris en l’an VI, et l’on décida qu’une réserve de 30,000 sacs de blé serait établie aux minoteries de Corbeil; le propriétaire de ces moulins passa un traité de deux ans qui ne fut même pas renouvelé. En 1801, la récolte étant insuffisante, le gouvernement fit acheter au dehors 573,000 quintaux métriques de grains, sur lesquels il en restait environ 245,000 en 1803. À cette époque, le premier consul arrêta que, sur cette quantité, 150,000 quintaux, représentant 62,000 sacs de blé, resteraient toujours en réserve dans les magasins de l’état. Ces grains étaient spécialement destinés à l’approvisionnement de Paris, approvisionnement qui, aux yeux de chaque gouvernement, a toujours passé avec raison pour une précaution politique de la plus haute importance. En 1811, la réserve, élevée à 250,000 hectolitres, fut épuisée tout entière, et put atténuer en partie les inconvéniens d’une très mauvaise récolte. Pendant les années qui suivirent, de terribles préoccupations avaient saisi tous les esprits, et l’on ne pensa guère aux greniers d’abondance, qui restèrent vides. Les achats recommencèrent en 1816, et une ordonnance royale du 3 décembre 1817 prescrivit l’éta-

  1. La première idée des greniers d’abondance est fort ancienne en France, et se retrouve dans une ordonnance de Henri III du 27 décembre 1577. Sous Louis XV, l’établissement de Corbeil contenait l’approvisionnement des blés du roi ; c’était une régie; mais de 1776 à 1789 l’administration fut confiée à des particuliers, sur bail débattu. La réserve destinée à Paris devait être, vers la fin de la monarchie, de 25,000 sacs de blé.