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bourses, fait vendre sur les halles et les marchés du pain de seconde qualité fabriqué à la boulangerie municipale pour les hospices et les prisons. Ce pain a bonne apparence, quoiqu’il soit opaque et trop chargé de mie. En général, il n’est pas à souhaiter que l’état se fasse commerçant; c’est là un mauvais principe, car les moyens dont il dispose sont tels qu’il peut arriver facilement au monopole. Dans le cas présent, l’intention qui a dirigé la préfecture de la Seine est honorable; mais la population de Paris a une sorte d’aversion instinctive pour le pain de seconde qualité. Un relevé fait en 1859 prouve que la vente du pain de première qualité faite par les boulangers en boutique s’est élevée à 161,751,231 kilogrammes, tandis que celle du pain de seconde qualité n’a atteint que le chiffre de 2,005,918 kilogrammes. On a voulu prouver aux consommateurs que le pain municipal était bon et nutritif; y est-on parvenu? C’est à en douter, car, quoiqu’il coûte 5 centimes de moins par kilo, il n’en a été vendu que 2,085,971 kilogrammes pendant le cours de l’année 1867[1].

En dehors de leurs 1,201 boutiques munies de fours, les boulangers ont dans différens quartiers 526 dépôts qu’ils alimentent avec les produits de leur fabrication; de plus le décret qui a proclamé la liberté de ce genre de commerce a permis aux boulangers des départemens d’envoyer du pain à Paris, à la condition de payer aux barrières un droit de 1 centime par kilogramme. Certaines espèces de pain de nos environs avaient jadis une grande réputation; on sait que le pain de Gonesse était considéré comme le meilleur de tous ceux qui se fabriquaient en France; cette vieille renommée semble ne plus subsister aujourd’hui, et les arrivages de pain extérieur n’apportent qu’un appoint peu considérable aux quantités que Paris absorbe chaque année. En effet, les entrées, pour 1867, ne se sont élevées qu’au chiffre de 2,544,364 kilogr., chiffre très minime par rapport à la consommation de Paris, qui, en 1867, a été de 277,802,879 kilogrammes 25 grammes, ce qui donne par habitant une consommation annuelle de 152 kilogrammes 197 grammes, et une consommation quotidienne de 416 grammes 97 centigrammes. Pour que ce calcul fût rigoureusement exact, il faudrait défalquer du total général les 81,299 kilogrammes de pain qui, selon les documens officiels, ont servi à la nourriture des étrangers attirés par l’exposition universelle.

  1. Ce n’est pas d’aujourd’hui que les Français se montrent très difficiles sur la qualité du pain; dans sa Campagne de France, Goethe s’émerveille de voir de jeunes paysans requis pour conduire sa voiture refuser nettement de manger le pain de munition qu’il leur offrait, et dont il se contentait lui-même.