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de perdre que notre départ fait plaisir à quelqu’un. Celui du tueur mit en liesse assez de monde. Pour deux ou trois bons diables qui avaient à se louer de sa capricieuse générosité, on en comptait par vingtaines dont il avait consommé la ruine. Donc peu de regrets et un prompt oubli. Personne, que je sache, ne s’enquit de ce qu’était devenu Deadly Dash. Ce surnom même disparut de la circulation après les sept ou huit jours pendant lesquels on causa négligemment des raisons qui avaient déterminé le départ de celui qui le portait. Sept ou huit jours, mon Dieu ! toutes les amitiés n’ont pas de si longues obsèques. Moi-même, au bout d’un temps assez court, je ne songeai plus qu’incidemment à ce héros de ma jeunesse, par exemple quand mes yeux se portaient au-dessus de ma cheminée vers la tête d’un cerf superbe (un bois à treize pointes, mon bon ami) qu’il avait traqué, tiré, tué de sa main dans les montagnes de l’Ayrshire, et dont ensuite il m’avait fait présent. Je me demandais alors, — mais j’étais seul à me poser ces questions, — si Deadly Dash avait péri dans quelque escarmouche, soit au Chili, soit en Bolivie, ou s’il s’était fait sauter la cervelle à Hombourg; s’il avait embrassé la foi musulmane pour entrer dans l’armée du sultan, s’il faisait la chasse aux Kabyles dans les gorges du Djurjurah, ou s’il marchait pour le compte des Bourbons de Naples à la tête de quelques brigands. — Peut-être aussi, me disais-je, ramené dans la voie où il a trouvé sa perte, il y joue obscurément le rôle d’un aventurier de bas étage. — Bref, nous ne savions rien et ne nous inquiétions guère de rien savoir. Quand une fois le monde a rabattu le drap sur la tête d’un vivant qu’il déclare bel et bien supprimé, peu lui importe en vérité que le pauvre diable trouve ensuite tel ou tel suaire; c’est affaire faite, on n’y revient pas.


II.

Sept ou huit années après cette crise finale, et lorsque pas un « homme de cheval » ne se rappelait les prouesses passées de Deadly Dash, j’obtins un congé de six mois, et, ne sachant trop que faire de ce loisir, je jugeai bon d’aller voir un peu ce qui se passait dans les états confédérés récemment insurgés sur l’autre bord de l’Atlantique. Ils étaient bloqués, ce qui vous expliquera peut-être ma fantaisie. J’avais entendu dire merveille de ces clippers ailés qui déjouaient toutes les mesures prises pour les intercepter au pas- sage. Il y avait là des difficultés séduisantes, des chances à courir, voire quelque péril à braver. Une fois arrivé, — si j’arrivais, — j’entendrais certainement de près ou de loin « parler la poudre, » dont l’éloquence m’a toujours été chère. J’eus le bonheur de percer