Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/415

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gouvernemens. En réalité, cette mission était étrange de toute façon, par son origine, par l’ostentation avec laquelle elle se produisait, par les sentimens dont elle était l’expression, par cet empressement d’intimité qu’elle laissait voir chez les deux peuples comme chez les deux gouvernemens, et de toutes les manifestations que provoquait l’attentat du mois d’avril 1866, celle-là n’était assurément ni la moins significative ni la moins imprévue; c’était la révélation d’une alliance nouvelle qui, au premier abord, semble n’avoir aucun rapport direct avec le mouvement de la politique européenne, et qui s’y rattache au contraire par un lien intime, qui en découle invinciblement.

Cette alliance en effet., d’où est-elle née? De la politique ambiguë de l’Europe dans les affaires de l’Union américaine et surtout de l’expédition du Mexique, de cette expédition dont les traces se retrouvent partout où il y a des embarras pour la France. Cette alliance, elle est principalement notre œuvre-, elle est née de cette situation où la république américaine et la Russie se trouvaient il y a cinq ans, l’une ayant à faire face à la guerre civile du sud, à la malveillance peu déguisée de l’Europe et à une expédition qui était après tout une menace indirecte pour son influence, l’autre ayant à tenir tête à l’insurrection polonaise. De là ce rapprochement singulier de deux peuples si profondément séparés, qui n’avaient jusque-là que peu de rapports, sans aucune habitude d’intimité, et entre lesquels on se plaisait aussitôt à découvrir une multitude de points de ressemblance, toute sorte d’intérêts communs. « Nous commençons aujourd’hui seulement, s’écriait un journal russe, à faire connaissance avec nos voisins transatlantiques; les liens qui nous unissent sont encore assez faibles, mais ils doivent inévitablement se fortifier, parce que les Russes et les Américains sont des amis et des alliés naturels... Même dans les rapports extérieurs, il y a une ressemblance frappante entre les Russes et les Américains. Ni eux ni nous ne sommes aimés de la vieille Europe occidentale. Quand les malheurs de la guerre civile déchiraient la grande république américaine, l’Europe, en se réjouissant ouvertement de ce malheur, soutenait sous main les ennemis de l’Union; quand s’alluma l’insurrection polonaise, l’Europe se tint du côté des ennemis de la Russie. C’est seulement à l’heure de l’épreuve qu’on reconnaît l’ami et l’ennemi, et maintenant, après la fin de la révolte, la Russie et les États-Unis se serrent mutuellement la main, au grand étonnement de la malveillance qui se partageait entre eux et qui les regardait comme des peuples étrangers l’un à l’autre... » Voilà comment s’est nouée cette alliance, qui commençait en 1863 par les ovations faites dans les ports des États-Unis à l’amiral russe