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ceptez-le, que le paysan russe voie en lui l’emblème d’un peuple ami qui sympathise à vos nobles efforts pour vous mettre au niveau des grands bienfaits de la civilisation que vous recevez de votre souverain bien-aimé ! » Les vieillards pleuraient d’attendrissement, et le doyen des paysans, Serge Vassilief Gvosdef, répondait avec l’à-propos d’un diplomate russe : « Dites à vos compatriotes que nous estimons leur amitié, et que, si le malheur menace l’un d’entre nous, nous nous tiendrons unis, l’un et l’autre peuple, contre l’ennemi. » L’ennemi invisible, bien entendu, c’est l’Occident, et le paysan parle comme s’il avait eu pour instituteur un écrivain de la Gazette de Moscou ou du Goloss. Un autre jour, les envoyés américains allaient visiter la Laure de Saint-Serge de la Trinité, ce monastère d’hommes qui était autrefois une forteresse, qui compte neuf églises aux coupoles dorées, aux sanctuaires étincelans de richesses, qui est resté le plus célèbre lieu de pèlerinage après Kiev, et où le dernier métropolite de Moscou, Mgr Philarète, mort récemment, s’était fait une résidence d’été qu’il appelait son ermitage de Gethsémani, ils allaient voir dans sa cellule le vieux prélat orthodoxe, qui leur faisait les honneurs du monastère et les félicitait du triomphe de l’autorité légitime en Amérique.

Dans cette succession de fêtes, de banquets et de visites, les Américains se laissaient aller visiblement à la fascination de l’accueil enthousiaste qui les attendait partout. Tantôt c’était M. Fox qui, répondant à un amiral russe, déclarait que jusque-là il se croyait « un cœur ferme comme la glace qui couvre les eaux de la Russie, » et qu’après tous les témoignages d’amitié qu’il recevait il sentait « son cœur se fondre » et ses sentimens « découler comme les nombreux ruisseaux d’un glacier; » tantôt c’était le capitaine Murray qui, dans un élan de lyrisme après un dîner offert par le gouverneur de Moscou, s’écriait : « Je me rappelle une pensée qui vivait dans mon jeune cœur américain quand j’étais encore enfant, la pensée de relations d’amitié avec la Russie. Quand l’amiral russe Lessovski parut dans les eaux de l’Amérique pour nouer avec nous les relations d’une cordiale sympathie, l’éclat du jour naissant a éclairé ma pensée. Quand ensuite, à l’occasion de la miraculeuse délivrance du danger qui a menacé le souverain russe, nous sommes venus dans la Baltique, un rayon du soleil levant est tombé sur cette pensée. Quand ce soleil atteindra la gloire de son midi, l’Europe tressaillira... — A l’armée et à la flotte russes!... » Mais, de toutes ces manifestations, la plus sérieuse, la plus politique était le banquet offert par le club anglais de Saint-Pétersbourg à la mission extraordinaire des États-Unis. Ici c’était le prince Gortchakof lui-même qui se chargeait du toast aux « amis d’au-delà de l’Atlan-