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daient dans leur journal, le Slovo, au seul bruit de la nomination du comte Goluchowski : « Il est temps de franchir le Rubicon. Nous ne sommes plus les Ruthènes de 1848 ; nous sommes Russes, et nous ne voulons pas souffrir qu’on élève une sorte de muraille de la Chine entre nous et nos frères de l’empire russe ! » La « muraille de la Chine » n’a pas été élevée ; l’émotion soulevée par le seul nom du comte Goluchowski s’est calmée peu à peu, et en revanche la propagande russe n’a pas diminué ; au contraire elle a redoublé, puisque c’est postérieurement que le congrès de Moscou a eu lieu, provoquant des excitations nouvelles.

Ce qu’il y a d’étrange, c’est que cette propagande, ces démonstrations, se produisent sous les yeux mêmes du gouvernement autrichien, de a l’oppresseur étranger, » comme disent les journaux de Moscou, et que, si la moitié de ce qui se passe en Autriche se produisait en Russie, il n’y aurait pas assez de Sibéries pour contenir ceux qui se seraient permis ces fantaisies libératrices. C’est en face des troupes impériales, à ce que rapporte un « voyageur russe, » que dans des troubles récens à Prague on criait : « Vive le tsar ! vive notre futur roi Venceslas Constantinovitch ! » C’est sous les yeux des autorités qu’on organisait l’an dernier le fameux pèlerinage à Moscou. C’est sous le gouvernement du comte Goluchowski en Galicie que le Slovo de Lemberg pousse chaque jour les Ruthènes dans les bras de la Russie. Il y a mieux : c’est à Vienne même que s’est établi le centre de cette propagande. Pendant longtemps il n’y avait eu qu’un organe du panslavisme, rédigé en allemand. Depuis le mois d’août 1867, il a été créé à Vienne un journal russe, l’Aurore slave. L’idée de ce journal a été conçue pendant le congrès de Moscou, et elle a été immédiatement réalisée avec des ressources dont il n’est pas difficile de deviner l’origine. L’Aurore a pour programme de travailler à l’unification du monde slave sous l’hégémonie de la Russie et de populariser la langue russe comme langue littéraire commune à tous les Slaves. L’impulsion part de l’ambassade russe à Vienne, servie en cela par un agent éprouvé et actif, par son aumônier, le prêtre Raïevskoï, qui depuis plusieurs années est le vrai promoteur de la propagande panslaviste en Autriche. Sa maison est le point de ralliement de tous les chefs slaves de l’empire des Habsbourg. Au temps du dernier reischrath, c’est chez lui que les paysans et les prêtres ruthènes députés de la Galicie allaient concerter leurs votes et leurs motions. C’est lui qui a été l’organisateur le plus zélé de l’exposition ethnologique, et son nom n’était pas oublié dans les toasts des banquets de Moscou. Le séminaire supérieur de Sainte-Barbe à Vienne, ce séminaire destiné à la préparation des prêtres grecs-unis, est complètement sous l’in-