les symboles : leur gravité n’étant pas trop compromise, on peut, en gardant son sérieux, les entendre déduire leurs motifs pour se retirer devant un vainqueur ; mais l’Amour ! mais Cupidon ! Conçoit-on ce petit folâtre, ce jeune fripon, cet incorrigible mauvais sujet, grandissant tout à coup, se transfigurant, pour inaugurer le dogme spiritualiste de l’amour pur, de l’amour divin ? En métaphysique, ces combinaisons d’idées ne heurtent pas si fort le bon sens, on passe plus aisément d’une abstraction à une abstraction différente que d’une image à une image ; mais le goût, qui est ici dans son domaine, est blessé. M. Lytton a beau prodiguer les peintures les plus éthérées, la transition de Cupidon à l’amour des saints et des ascètes est impossible ; la poésie même se sent profanée.
Au reste on devait s’attendre de notre temps à voir les théories nouvelles sur les religions s’essayer même en vers.
Il nous faut du nouveau, n’en fût-il plus au monde !
C’est Apollon, le dieu des vers, qui dit cela dans La Fontaine. La
poésie, en quête de sujets, ne pouvait manquer de mettre la main
sur celui-là. Cependant n’est-ce pas beaucoup se hâter ? Je sais
qu’il y a aujourd’hui une science des religions ; mais le principal aliment de ces recherches, c’est la curiosité philosophique. La curiosité mène les esprits. Reste à savoir le parti que la poésie peut tirer
de l’échelle progressive des cultes, et ce qu’elle espère gagner à se
convertir tant soit peu à quelque religion de la Sogdiane ou de la
Bactriane, seule originale, où finit l’échelle, et après laquelle, à ce
qu’il paraît, il n’y a plus rien. La muse aime la science, mais non
en cet état d’incertitude et de crudité ; elle ne cherche pas ainsi le
système le plus récent et la théologie la plus curieuse. La muse
n’est pas une Du Châtelet, une marquise philosophe en quête de
ce que l’on pense de plus nouveau ; elle a besoin de croire pour
vivre. Vos curiosités transcendantes ne vous fourniront pas une
page sincère, et la théologie même, à qui vous empruntez, est rapetissée par vos inventions poétiques. Shelley était bien plus sage,
lui qui disait, à son point de vue de poète, que nous savons trop. Il
voulait que la muse ne fût étrangère à aucune science, mais il entendait une science bien assise et entrée dans le patrimoine de l’intelligence humaine ; il voulait que l’imagination transformât le savoir quand il est prêt à devenir la vie et le sang de l’homme.
Nous faisons honneur à Shelley de ces tentatives, bien qu’il les eût, je crois, répudiées. Pour rendre à chacun ce qui lui appartient, peut-être M. Lytton est-il plutôt redevable à l’Allemagne de sa théologie, qui sait ? même de son Cupidon, quoique celui-ci porte à un haut degré la marque de la coquetterie anglaise. M. Lytton connaît