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mer à propos? Qu’on lise les belles discussions dont la chambre des communes vient d’être le théâtre et dont nous n’avons pu donner qu’une imparfaite esquisse; on verra que la pensée dominante de cette grande assemblée est toujours de préparer à l’avenir une transition facile, d’accomplir pacifiquement les changemens amenés par le progrès de l’esprit public, afin qu’ils soient sanctionnés par l’acquiescement de toutes les classes.

C’est cette pensée qui l’année dernière a inspiré le bill de réforme, qui a fait céder toutes les résistances, tous les préjugés, toutes les craintes plus ou moins fondées qui l’avaient auparavant toujours entravé. Les Anglais ont compris alors que l’heure décisive était arrivée, qu’il fallait donner à leurs classes ouvrières la véritable sanction du titre de citoyen, le droit de suffrage, sans quoi la partie la plus intelligente aurait été demander ce droit à la grande république américaine, et le reste aurait perdu ce respect de la légalité qui est la force des pays où chacun a sa part dans la chose publique. De même ils ont cette année senti la nécessité d’appliquer à l’Irlande des remèdes prompts et efficaces. Lorsqu’il faudra compléter par d’autres mesures l’admission des classes ouvrières à la vie politique, lorsqu’il s’agira d’achever la réconciliation de l’Irlande, ce même esprit d’à-propos ne fera sans doute pas défaut à l’Angleterre. Grâce à lui, les révolutions politiques et sociales, loin d’être accompagnées de terribles convulsions, se font à l’image de celles du globe, si, comme certains géologues le prétendent, celles-ci s’accomplissent insensiblement chaque jour sous nos yeux, soulevant sans secousse les continens du fond de la mer, et ramenant peu à peu d’autres terres jusque dans le sein des eaux. C’est lui encore qui agit comme un régulateur au milieu des viriles agitations de la république américaine, pouvoir souverain et invisible qui, au moment où les spectateurs étrangers, amis ou ennemis, croient ses institutions prêtes à sombrer, vient dire à l’oreille d’un parti vainqueur, d’une assemblée exaltée par la lutte, d’un chef exposé aux tentations du pouvoir : Tu n’iras pas plus loin.

On a voulu faire de cet esprit un attribut spécial de la race anglo-saxonne. Nous croyons qu’il a été plus particulièrement l’apanage de certains peuples simplement parce qu’ils ont su le conquérir. C’est un bien offert à toutes les nations civilisées qui veulent le posséder. Ce n’est autre chose que la libre expression du bon sens public là où il dispose de tous les moyens de s’éclairer et de se formuler. Le grand procès entamé contre l’église d’Irlande devant la chambre des communes nous montre justement comment ce bon sens public s’éclaire et se formule. Les discussions de l’assemblée ne sont que le débat contradictoire des parties, son