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pourraient leur offrir? Dans le cas contraire, comment pourrait-on rendre cette mesure efficace sans avoir recours aux procédés violens d’une sorte d’expropriation forcée?

Nous n’avons pas la prétention de résoudre ces questions, nous avons voulu seulement montrer qu’entre tant de projets divers le parlement n’aura que l’embarras du choix. D’ailleurs ces projets n’ont qu’une importance secondaire pour l’objet que nous avions en vue. Le temps décidera, car il ne faut pas croire que la mesure récemment sanctionnée par la chambre des communes suffise à elle seule pour apaiser les passions qui séparent l’Irlande de l’Angleterre. Ce n’en est pas moins une grave résolution qui mérite de fixer les regards de tous, parce qu’elle est à la fois une réparation du passé et un gage pour l’avenir. Le moment est critique et décisif; l’archevêque Manning et le philosophe Stuart Mill s’accordent pour le rappeler à leurs compatriotes, et ceux-ci sentent parfaitement qu’il s’agit non pas de discuter et de prévoir d’avance tout ce qu’il y aura encore à faire pour réconcilier les deux îles voisines, mais bien de saisir la hache, et, comme dans un incendie, de courir au plus pressé.

Ce qui nous a frappé, ce qui nous a peut-être entraîné dans de trop longs développemens, c’est la manière dont cette question a été abordée au sein d’un peuple libre. Les promoteurs de cette grande mesure, tous ceux qui l’ont défendue ou approuvée, depuis les hommes d’état qui dirigent la majorité de la chambre jusqu’au clergé catholique, et avec eux la masse des citoyens de toutes les classes, ont donné en cette occasion des exemples si honorables pour la mâle école qui les a formés, que nous avons trouvé à les suivre un intérêt tout particulier. Ce qui se passe aujourd’hui en Angleterre n’est qu’un trait dans le tableau si grand et si changeant qu’offrent nos sociétés modernes, mais un trait lumineux, non une des ombres qui l’obscurcissent. Il éclaire les tendances nouvelles dont l’influence croît rapidement-en Angleterre.

Ces tendances commandent notre attention, car notre voisine d’outre-mer, sans cesser d’être le pays de la tradition, est en même temps la nation européenne qui marche le plus rapidement dans des voies nouvelles. Ne sentons-nous pas tous, au milieu du malaise qui nous opprime parfois comme dans les momens de confiance et d’espérance qui nous réchauffent, qu’il ne s’agit plus aujourd’hui de jeter en arrière d’inutiles regards, qu’il ne faut demander au passé que son expérience pour l’appliquer sans parti-pris étroit à des situations nouvelles? C’est ce que M. Gladstone a compris; c’est pour cela que nous souhaitons son succès, et que nous y croyons. S’étonnera-t-on de nous entendre dire que l’Angleterre est le pays d’Europe qui comprend le mieux l’art de se transfor-