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dans un air sec qui donne à la chair la dureté du marbre, aux membres l’élégance et la force, et qui les préserve de ces humeurs lymphatiques qu’engendrent les brouillards du nord. Ils sont pleins d’orgueil, avides de domination, dévoués à leur pays jusqu’à la mort, prodigues, braves, enthousiastes, très susceptibles, ombrageux même, et avec cela très fins politiques, admirablement préparés à vivre libres, et par leurs institutions et par leur histoire, comme nous allons le faire voir. Quels que soient au reste ses défauts, un peuple qui a produit un type de patricien comme Széchenyi, un type de parlementaire libéral comme Deak, un type de tribun révolutionnaire comme Kossuth, n’est certes inférieur à aucun autre, car je n’en vois guère qui, dans chacune de ces catégories, puisse se vanter d’avoir des représentans, des representive men, comme dirait Emerson, supérieurs à ceux que je viens de nommer.

Jetons maintenant un rapide coup d’œil sur le passé de la Hongrie ; nous verrons ainsi comment s’est formé ce caractère si remarquable du Magyar, d’où proviennent ses antipathies contre les Autrichiens, son orgueil national, ses désirs de domination et de grandeur. La Pannonie, c’est-à-dire la Hongrie actuelle, fut primitivement occupée par les Illyriens, peuplade thraco-slave à laquelle se mêlèrent plus tard les débris des bandes gauloises et celtes de Sigovèse et de Bellovèse. Les Jazigues, Slaves purs, habitaient les Karpathes. Les tribus germaniques des Goths et des Gépides avaient conquis le pays, quand apparut la race jaune, les Huns d’abord, ensuite, après la mort d’Attila, les Avares, qui, de 550 à 800, firent trembler toute l’Europe, et dont la domination, sous le khan Bayan, s’étendit jusqu’en Thuringe et en Italie. Charlemagne les vainquit, les soumit et fit de leur territoire un margraviat. Vers 620, des peuplades slaves, les Croates et les Serbes, descendues des Karpathes, s’étaient emparées de la région qu’occupent maintenant la Croatie, la Dalmatie, la Serbie et la Bosnie. Les Bulgares, tribu hunnique, habitaient, aux bords de la Mer-Noire, la province qui porte encore leur nom.

Un prince slave, Swatopluk, était parvenu à grouper sous son autorité ces populations si mêlées et à fonder une sorte d’empire connu sous le nom de Grande-Moravie, lorsque arriva de l’Orient un nouvel essaim de race jaune. C’étaient les Magyars, dont Constantin Porphyrogénète avait déjà parlé en les nommant Mαζαροί et en disant qu’ils étaient fixés au nord du Palus-Mœotides. Avant de commencer leurs migrations, ils avaient habité jusqu’au VIIe siècle les environs de l’Altaï, à côté des Turcs, autre branche de la famille touranienne qu’ils devaient rencontrer mille ans plus tard aux bords du Danube, mais le sabre à la main, chacun de ces deux peuples représentant deux cultes différens, empruntés l’un aux Juifs,