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Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 75.djvu/540

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l’antique organisation des comitats et remplacer dans l’administration la langue hongroise par l’allemand. La résistance obstinée de toute la Hongrie allait aboutir à une nouvelle insurrection, lorsqu’il jugea prudent de mettre à néant tous ses décrets et de restituer la couronne de saint Étienne, qu’il avait fait transporter à Vienne. Les événemens de 1848 sont trop présens au souvenir de chacun pour que nous ayons besoin de les rappeler. Ils reproduisent exactement la marche des révolutions du XVIIe siècle. La Hongrie veut transformer ses franchises du moyen âge en libertés modernes. La cour de Vienne, prise au dépourvu par les révolutions européennes, consent aux réformes ; mais bientôt, appuyée sur les Slaves du sud, qu’elle jette sur les Magyars, elle retire ses concessions. Comme au temps des Tököli et des Rákóczy, les impériaux sont vaincus ; mais, plutôt que d’accepter la liberté, l’Autriche appelle les Russes à son secours. Aujourd’hui seulement on peut apprécier combien cela était insensé. C’était évidemment désigner aux Slaves comme leur sauveur et leur maître naturel le tsar, qui était, lui, dans son rôle en écrasant les Magyars, seuls capables de maintenir l’Autriche et de faire équilibre à la Russie sur le Danube. L’Europe n’a pas assez compris alors que le cabinet de Vienne se suicidait en compromettant dans l’Orient les intérêts de la civilisation occidentale. La Hongrie fut vaincue ; mais par sa résistance pacifique, par son inébranlable fidélité à son droit héréditaire, elle a reconquis enfin sa constitution, modifiée par les lois de 1848, qui l’ont adaptée aux besoins d’une société du XIXe siècle.

Cette rapide esquisse historique suffit pour expliquer les sentimens qui règnent en Hongrie : l’orgueil national exalté parfois au-delà de toute mesure, la haine farouche du despotisme, de l’ultra-montanisme, l’animosité contre les Autrichiens, qui trop souvent ont représenté ces deux fléaux, et l’opposition exagérée, hargneuse, parfois puérile, à tout ce qui semble, si peu que ce soit, devoir porter atteinte à l’indépendance magyare. Tant que la Hongrie a vécu sous des souverains qui ont respecté ses libertés, elle a été puissante, elle a régné en souveraine dans tout le bassin du Danube. Quand les Habsbourg ont voulu introduire le pouvoir absolu à la façon de l’Espagne et l’unité de la foi suivant le vœu de Rome, les Magyars les ont forcés à reculer par une série de six formidables insurrections toujours victorieuses ; mais ils ne l’ont emporté qu’en perdant la moitié de leurs provinces, enlevées par les Turcs, et la moitié de leur population, tuée par les impériaux sur les échafauds ou sur les champs de bataille. Lorsqu’on voyage en Hongrie, on s’étonne de ne pas rencontrer d’anciens monumens dans des villes d’antique renommée ; c’est que toutes ont été plusieurs fois prises d’assaut et brûlées pendant ces épouvantables luttes. Certes il