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serait déraisonnable de la part de la Hongrie actuelle de garder à l’Autriche régénérée rancune des griefs d’autrefois ; mais des ressentimens enracinés par des siècles d’hostilités dans le cœur de toute une nation ne s’effacent pas en un jour, et il serait imprudent d’agir comme s’ils n’avaient point laissé de traces. S’il y a des peuples qui oublient les enseignemens de leur histoire, ce ne sont pas les Magyars. Leurs historiens sont très lus, et tous leurs écrivains semblent se faire un devoir de traiter au moins l’une ou l’autre partie de leurs annales. La lutte de la Hongrie contre la maison d’Autriche ressemble beaucoup à celle de la Bretagne contre les rois de France. M. de Carné nous a dépeint ici même les Bretons défendant avec une indomptable constance leur ancienne constitution contre les usurpations sans cesse renouvelées du pouvoir central, invoquant le texte des traités, barricadés derrière leurs privilèges, et repoussant toute innovation comme un attentat à leurs libertés, dévoués au principe monarchique, mais plus dévoués encore aux droits de leur province, pour lesquels au besoin ils prennent les armes. Les Hongrois ont fait de même, mais entre les deux pays il y a une différence qui est capitale et qui a décidé de tout : tandis que les Magyars, dès longtemps ouverts à l’esprit nouveau, ont combattu contre un pouvoir intolérant, les Bretons, ultramontains jusqu’au fond du cœur, n’ont jamais résisté avec plus d’énergie au pouvoir royal que quand il leur apportait les principes modernes. Les uns ont succombé, et aujourd’hui les autres triomphent. Il en est toujours ainsi. Ceux qui s’attachent à des idées dont la sève est épuisée en prennent la contagieuse faiblesse ; ils ne les sauvent pas, et ils se perdent. — Il faut voir maintenant comment les institutions, et non le sang ou la race, ont implanté dans le cœur des Hongrois cet indomptable amour de l’indépendance qui éclate dans leur histoire.


II

C’est le 8 juin de l’an dernier, en assistant au couronnement de l’empereur François-Joseph comme roi de Hongrie, que j’ai cru comprendre pour la première fois la constitution politique de ce pays. Cette cérémonie, dont rien ailleurs ne donne l’idée, résume son histoire et fait défiler sous vos yeux le tableau vivant de toutes ses institutions. Comme l’Angleterre, la Hongrie a cet avantage trop peu apprécié de pouvoir donner pour encadrement aux choses contemporaines un cérémonial qui date de huit siècles, et de rattacher ainsi par un lien symbolique les conquêtes de l’esprit nouveau aux, souvenirs du passé. Quand on assiste à la procession de la reine