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mélancoliques, couverts uniformément d’une épaisse étoffe de laine blanche serrée par des courroies autour de la jambe, ressemblant encore aux statues des prisonniers daces de l’arc de Constantin, — les Slovaques, le visage caché sous d’énormes chapeaux de feutre, habillés d’une sorte de bure brune en lambeaux, — les Serbes au nez d’aigle, au regard intelligent, aux traits anguleux, — les femmes croates avec leur chemise de chanvre brodée de charmans dessins en laine rouge, — les Zingari, laissant voir à travers les trous de leurs haillons la peau lisse et basanée du paria hindou, — puis d’autres enfans de l’Asie, des Juifs en grand nombre appartenant à toutes les classes de la société, mais portant dans leurs traits la marque irrécusable de leur origine orientale, — des paysans allemands, des Saxons, comme on les appelle, avec leurs yeux bleus et leurs cheveux blonds, grands, forts et lourds au milieu de tous ces autres types plus légers et plus fins, — enfin des pâtres de la Puszta, des Czikos, des Ruthènes, des Szeklers, des Hayduques, des Kumans, des variétés de race à n’en pas finir, toutes signalées par quelque particularité.

À l’aspect de ces différences si tranchées, on comprenait combien il est difficile de trouver des institutions qui conviennent également à tant de nationalités séparées par la langue, les mœurs et d’implacables animosités. Quel contraste aussi entre ces hommes primitifs encore vêtus comme leurs ancêtres de l’époque romaine et ces magnats qui, avec les envoyés des pays étrangers, se rendent à Bude dans leurs splendides équipages pour assister aux cérémonies du couronnement ! Celles-ci vont commencer à sept heures dans la cathédrale. Le clergé y joue le rôle principal, car il s’agit de remettre la couronne apostolique de saint Étienne. L’archevêque de Kalocza s’avance vers l’archevêque de Gran, primat de la Hongrie, et dit, en lui présentant le roi : Postulat sancta mater ecclesia catholica ut prœsentem serenissimum Franciscum Josephum ad dignitatem Hungariœ régis sublevetis ; « l’église demande que vous éleviez le sérénissime François-Joseph, ici présent, à la dignité de roi de Hongrie. » Le primat répond : « Savez-vous s’il mérite cette dignité et s’il la remplira utilement ? » scitis illum dignum et utilem esse ad hanc dignitatem ? L’archevêque de Kalocza répond : El novimus et credimus ; « nous le savons et nous le croyons. » Le roi s’étend alors à plat devant l’autel, la face dans la poussière. Le primat lit les litanies, et avec la crosse fait trois fois le signe de la croix sur le dos du souverain prosterné. Après l’avoir relevé et lui avoir oint l’épaule de l’huile consacrée, il le revêt du manteau d’or brodé vers l’an 1000 par la reine Gisèle, et qui ne peut être réparé que par des mains royales. La messe dite, il lui remet le glaive. Le comte Andrássy, qui, comme premier ministre, remplit les fonctions de palatin, pose sur la tête du roi la fameuse couronne de