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rive s’élève en amphithéâtre Bude, couronné par ses vieux murs et par le palais du roi. Le tombeau du derviche et les dômes surbaissés des bains turcs rappellent le règne du croissant. Le fort du Bloksberg domine de haut les deux cités assises à ses pieds. D’un côté, la montagne se redresse en gradins sur lesquels s’accrochent les petites maisons des vignerons qui cultivent le vin noir et capiteux appelé Sang des Turcs ; de l’autre, elle précipite à pic dans le fleuve ses rochers sombres et déchirés. Au-delà s’ouvre vers l’est la plaine sans limites de l’Alföld, semblable aux steppes asiatiques. Vers l’ouest au contraire, le paysage est riant et animé. Une chaîne bleuâtre ferme l’horizon ; les collines plus voisines sont couvertes de vignobles, et plusieurs îles, disparaissant sous les grands arbres qui les ombragent, ressemblent à des bosquets flottant sur les eaux. Tel est le décor ; voici maintenant la scène qui s’y déroule. Le cortège royal s’avance lentement. Tous ceux qui le composent sont à cheval. D’abord apparaissent les délégués des comitats ; ils portent le costume hongrois dans toute sa grâce et toute sa splendeur, la botte et le pantalon collant, la veste courte, couverte de passementeries, le dolman attaché à l’épaule, la toque de fourrure ou de velours ornée d’une aigrette ou d’une plume d’aigle. Chaque comitat se distingue par une combinaison différente de couleurs. Voici des cavaliers au pantalon gris avec le dolman en velours bleu garni de peau de cygne ; en voilà d’autres en culotte noire avec le manteau en velours grenat bordé de martre ; quelques-uns ont choisi du velours vert et de l’hermine. On ne peut songer à décrire ici tous ces costumes qui auraient ravi un peintre, tant ils présentaient d’harmonie dans les couleurs, d’élégance et de fierté dans la coupe. Après les délégués des comitats arrivent les magnats. Ils ont emprunté aux époques de grandeur de la Hongrie les vêtemens et les armes que portaient leurs vaillans ancêtres. L’un est couvert d’une cotte de mailles en argent, l’autre a fixé à son épaule par une agrafe de diamans une peau de léopard, un troisième brandit la masse d’armes qui jadis assommait les Turcs. Les chevaux disparaissent sous des caparaçons de drap d’or et d’argent ; les manteaux, les armes, les toques, les brides, le harnachement, tout ruisselle de pierreries. Plus d’une famille, dit-on, s’est mise à la gêne pour être dignement représentée en ce jour de fête nationale. Quand la cavalcade débouche du pont, on dirait un fleuve d’or fondu roulant des pierres précieuses, tant tout cela renvoie au soleil de reflets éblouissans. Les noms historiques de la Hongrie défilent sous nos yeux : Palfy, Karoly, Erdödy, Festetics, Maylath, Bethlen, Waldstein, la nombreuse tribu des Zichy, où l’on distingue le comte Edmond avec sa grande barbe fauve en éventail, modèle achevé des preux d’autrefois ; les deux fils du grand comte, Odon et Bela Széchenyi, le dernier, type achevé de