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appareils respiratoires ou sudorifîques très mystérieux, des appendices de poils transparens qui ressemblent à une microscopique chevelure hyaline, tantôt disposée en étoiles, tantôt couchée comme une fourrure, tantôt courant le long de la tige et alternant avec ses nœuds, tantôt composée de fines soies articulées ou terminées par une petite boule de cristal. Ces appendices, placés tantôt sur la tige en haut ou en bas, tantôt sur le calice, le bord des feuilles ou des pétales, déterminent quelquefois une partie essentielle des caractères. S’ils ne nous renseignent pas toujours exactement, c’est un bien petit malheur ; l’important, c’est d’avoir vu cette parure merveilleuse que la plus humble fleurette ne révélait pas à l’œil nu, et, pour la chercher avec la lentille, il fallait bien savoir qu’elle existe ou doit exister.

Je vous cite ce petit fait entre mille. Si vous étudiez la plante dans tous ses détails, vous serez frappé d’une première unité de plan vraiment magistrale, donnant naissance à l’infinie variété et reliant cette variété au grand type primordial par des embranchemens admirablement ingénieux et logiques. Je m’embarrasse fort peu, quant à moi, des questions religieuses ou matérialistes que soulève l’ordre de la nature. Il a plu à de grands esprits d’y trouver du désordre ou tout au moins des lacunes et des hiatus. Pour mon compte, j’y trouve tant d’art et de science, tant d’esprit et tant de génie, que j’attribuerais volontiers les lacunes apparentes de la création à celles de notre cerveau. Nous ne savons pas tout, mais ce que nous voyons est très satisfaisant, et, que la vie se soit élancée sur la terre en semis ou en spirale, en réseau ou en jet unique, par secousses ou par alluvions, je m’occupe à voir et je me contente d’admirer.

Pour conclure, l’étude des détails ne peut se passer de méthode. La méthode impose la recherche, qui n’est qu’un emploi bien dirigé de l’attention. L’attention est un exercice de l’esprit qui crée une faculté nouvelle, la vision nette et complète des choses. Là où l’amateur sans étude ne voit que des masses et des couleurs confuses, l’artiste naturaliste voit le détail en même temps que l’ensemble. Qu’il ait besoin ou non pour son art de cette faculté acquise, je- n’en sais rien, et là n’est pas le but que j’ai cherché, je n’y ai même pas songé ; mais qu’il en ait besoin pour son âme, pour son progrès intérieur, pour sa santé morale, pour sa consolation dans les écœuremens de la vie sociale, pour la force à retrouver entre l’abattement du désastre et l’appel du devoir, voilà ce qui n’est pas douteux pour moi. On arrive à aimer la nature passionnément comme un grand être passionné, puissant, inépuisable, toujours souriant, toujours prêt à parler d’idéal et à renouveler le pauvre petit être troublé et tremblant que nous sommes.