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aux autres ou de diversifier sans trouble les lignes d’une scène se développant sur le même plan. De plus il a généralement évité avec un tact remarquable tout ce qui aurait pu altérer ou compromettre les caractères nécessaires du travail et transporter dans le domaine de la sculpture les moyens dont le pinceau seul doit disposer. Fort contrairement à ce que nous montrent tant d’ouvrages appartenant au XVIIe et au XVIIIe siècle, ses bas-reliefs ne sont point traités comme des tableaux, je veux dire qu’ils ne tendent ni à tromper le regard par la fuite ou par la multiplicité fictive des plans, ni à le séduire par la variété, l’éclat ou la flexibilité des accidens pittoresques. Tout y est, comme dans les monumens antiques du même genre, ordonné suivant les règles que prescrivent le fond sur lequel on opère et l’obligation, faute de couleur, de renoncer à toute illusion de profondeur ; tout y prend, même dans l’expression du mouvement, une apparence de calme, de symétrie, de stabilité, aussi conforme à la monotonie des matières employées qu’au devoir, pour la main qui les travaille, d’en tirer seulement une imitation abrégée de la vie.

La vie, on en retrouve pourtant l’animation et l’accent dans les bas-reliefs sculptés par Thorvaldsen, et, pour peu qu’on réfléchisse à la difficulté de la faire pressentir sous des dehors aussi conventionnels en eux-mêmes, on comprendra ce qu’il y a là de méritoire et de vraiment rare. Quoi de plus artificiel et de plus arbitraire qu’un procédé qui consiste à entailler les murailles pour en dégager une image à la fois palpable et abstraite, pour mettre en saillie la moitié des choses, sauf à laisser l’autre moitié faire corps avec l’édifice lui-même ? Dès lors, quoi de mieux justifié en apparence que la tentation pour le ciseau d’atténuer autant que possible cette anomalie en immobilisant tout à fait, en achevant d’enraciner ou d’émonder les parties qui sont censées vivre ? Par un excès opposé aux exagérations pittoresques de Puget et de tant d’autres qui prétendaient tout remuer, tout agiter, tout chiffonner dans leurs bas-reliefs, quelque idéaliste trop austère pourra si bien abuser de l’équerre et du compas que la forme humaine, telle qu’il l’aura figurée, n’aura plus qu’une raideur géométrique. Le malaisé et cependant l’indispensable en pareil cas, c’est de conserver à cette forme quelque chose de sa souplesse sans en transcrire jusqu’au bout les inflexions ou les irrégularités, c’est de concilier l’élément vrai avec l’interprétation factice, l’expression de la vie avec la réserve qu’imposent les moyens, et de donner au tout une physionomie assez vive pour intéresser le regard, assez sévère néanmoins pour l’arrêter à temps dans ses exigences habituelles ou dans ses souvenirs de la réalité.

Parmi les bas-reliefs que Thorvaldsen a modelés et qui